samedi 23 juillet 2011

PAYSAGES

Paysage-émotion, paysage-résonnance, paysage-histoire, paysage-monde, paysage-soi... Décrire un paysage réel ou inventé, avec précision, sans en omettre toute la subjectivité.



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Lignes de grève


Le long du cordon d’algues, je dessine du regard les marées montantes.
Au-delà, sur le sable reste gravée la géographie des passants. Se croisent alors les itinéraires sagement éloignés de l’eau et ceux, aventureux, flirtant avec le ressac.
Je suis bientôt hypnotisée par la ligne blanche sans cesse renouvelée, quand je pense en tenir le bout, elle s’échappe pour renaître de la respiration infinie de l’océan.
Peu à peu je gagne des yeux l’immensité ponctuée d’éclats vifs et secs du soleil en morceaux.


Arrivée nocturne en paysage inconnu
La nuit est noire d’encre quand j’arrive à destination. Dans la trouée des phares j’aperçois l’enchevêtrement végétal du jardin livré à lui-même. Je quitte mon cocon de fer munie de la clef et me dirige vers la porte à travers ce paysage inconnu et encore invisible. Je devine les haies fleuries dont les odeurs m’accueillent dans la douceur nocturne ; le murmure tiède d’un souffle dans les feuilles et j’imagine les grands arbres ; un peu plus loin derrière moi : le bruissement ondulant des hautes herbes.

mardi 19 juillet 2011

RETROUVER UN AMI D'ENFANCE

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                             RETROUVAILLES 

-         Tu me reconnais ?
-         Oui.
-         Quand même ?
-         Oui.
-         Ce que nous sommes devenues.
-         Oui.
-         Ce n’est pas beau  à voir.
-         Non.
-         Tu te souviens, il y a trente ans ?
-         Quarante.
-         Ah oui. Quarante.
-         De tout ?
-         Quoi, de tout ?
-         Je me souviens de tout. Tes boucles blondes.
-         Je n’ai plus de cheveux.
-         Je vois.
-         Ce n’est pas beau.
-         Non.
-         Tu dis toujours oui ou non.
-         Oui. Et toi ?
-         Quoi, moi ?
-         Ce que tu es devenue.
-         Bof.
-         Quoi bof ?
-         Irracontable.
-         Mais encore ?
-         Tous morts.
-         Tous ? ton mari ?
-         Oui. Pas une grosse perte.
-         Tes …
-         Si. Enfin, comme si.
-         Comme  si ?
-         Y a des vies pires que la mort.
-     Mais tu…
-     C’est comme ça. Rien à faire.
-     Tout s’use. Même les sentiments.
-      Surtout les sentiments.
-      Oui.
-      Ca résiste pas au temps.
-      Le salaud.
-      Qui ?
-      Le temps.
-      Je suis prête. Je l’attends.
-      Qui ?
-      Le néant.
-      Tu ne crois en rien ?
-      Non, heureusement. Et toi ?
-      Je ne crois pas.
-      On se reverra ?
-      Pour parler du bon vieux temps.
-      Faut qu’on se grouille.
-      Oui.
-      J’ai tout oublié.
-      Mais tu m’as dit que …
-      Sauf tes  boucles blondes.
-      Ah bon ?
-      Oui. Je t’aimais, à l’époque.
-      Tu te moquais de moi, pourtant.
-      Oui.
-      De ma peau blanche.
-      Oui.
-      De ma timidité. Pourquoi ?
-      Comme ça. Chacun tue ce qu’il aime, comme dit le poète.
-      C’est fini, tout ça. On n’emporte rien dans la tombe.
-      Moi, si.
-      Quoi ?
-      Le souvenir de…
-      Quoi ?
-      Tes boucles blondes.
      Bernadette Behava
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Ami d’enfance. Elle n’a pas d’ami d’enfance.
Elle a beau chercher au plus profond de sa mémoire, rien, pas la moindre.

Elle ne sait pas trop pourquoi. Sans doute quelque chose qui a manqué ou qui était de trop.

Elle aurait aimé pourtant. La complicité. Les rires. Les trucs de fifilles.
Elle voyait les autres. Toujours par 2 ou par 3.

Elle a essayé. Elle s’est accrochée à un duo. 5, 6 allers-retours à l’école et puis rien à dire, rien à partager. Elle marchait à côté, écoutait. Elle a vite compris qu’elle n’avait pas sa place. Elle a abandonné.

Alors, elle s’est cramponnée à sa solitude.
Il lui semblait que c’était plus confortable.

C’était sans compter les questions qui restaient sans réponse.
Qui elle était, pour ne pas avoir d’amie, pour que personne ne s’approche d’elle?
Qui était-elle pour que tout reste au dedans ?


Zéro réponse. Évidemment.
Rentrer seule. Pas d’invitation. Pas de coup de fil. Faire avec.

Laure Stichelbaut


lundi 20 juin 2011

LE MONASTERE



Silence, obéissance, renoncement au monde, vérité, lumière, mystère de la vocation... le monastère est une question.
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Couvent 1

C’est dans un coin de moyenne montagne. Plein Est.
La route nationale se change en départementale. Elle est jusque-là goudronnée, lisse et noire. Et puis elle se transforme en chemin, chaotique et verdoyant. Elle a abandonné au fur et à mesure les villes, les villages, les hameaux et maintenant toute ténue, serpentant délicatement sur le flanc de la montagne, elle mène au terme.
D’ailleurs elle ne va pas plus loin.

Virginie s’extrait de sa voiture. Claque la porte. La tôle résonne. C’est le signal, elle passe à autre chose.

Elle y songeait depuis longtemps. Une idée fixe. Sortir des verbiages inutiles. Déserter les lieux encombrés. Rompre les rythmes incessants.

Elle parcourt la fin du sentier à pied. Monte. Son sac à bout de bras et c’est la pierre qui l’accueille.
Une forteresse. On dirait une forteresse.
Elle se sent loin de sa vie. Elle sait que l’inconnu la fait paniquer. Elle sait que la solitude lui donne le vertige, mais aujourd’hui elle accepte sans crainte ce sentiment nouveau d’être au cœur d’une certaine justesse.

Elle franchit le seuil. La lourde porte se referme.
Silence.
Elle aura enfin du temps pour se laisser bercer par les frottements des pas sur la pierre, le rythme des prières, la cadence des chants,
Elle aura enfin du temps pour réveiller une nouvelle forme de vie. À l’intérieur.
Ce qu’elle veut c’est se calmer. Se consoler.

samedi 28 mai 2011

ENFANTS-SOLDATS














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Humanitaire

Il fait chaud. Humide. 
Tout le monde est épuisé. On est là depuis 5 jours. On se relaie comme on peut mais la fatigue est palpable. Les yeux piquent, les nuques se raidissent, les estomacs se retournent et malgré tout, nos gestes doivent rester précis. Il n’est même plus question de lucidité, nous travaillons à l’instinct.

Nuit, jour, qui sait ? On s’en fout. 5 jours que les affrontements ont repris.
Le dispensaire est dans un état pitoyable. Comme nous tous. Comme eux.
Saloperie de guerre.

Cette nuit encore, est arrivé un gamin. Porté par deux de ses camarades, les armes en bandoulière. Une jambe arrachée.  Pas beau à voir. Je pense tout de suite « amputation ». Ca me glace.
Quel âge peut-il avoir ? Il me paraît encore plus jeune que les autres. Mais où vont-ils les chercher ?
Le regard qu’il me lance se veut féroce, comme pour me prouver qu’il a bien raison d’être là, que c’est un guerrier, qu’il n’a  peur de rien. Moi, je vois des yeux d’enfant avec quelque chose d’encore tendre. Je vois une jambe déchiquetée jusqu’à un point de non retour. Je vois un petit être frêle qui sert les dents pour ne pas hurler de douleur.  Je vois un gamin qui se vide de son sang, à qui on a volé sa vie d’enfant et qui ne devrait rien avoir à faire ici.

Le pire dans tout ça, c’est que je sais qu’on n’arrivera pas à se parler. Foutus dialectes.
Je plonge mes yeux dans les siens. Je voudrais qu’il comprenne combien il est petit, combien je vais prendre soin de lui, combien je suis désolé.
Et puis il faut faire vite. Jean prend le relai. On connaît la marche à suivre. Il va l’anesthésier. Je ferai le reste.

Humanitaire… et merde! Je ne sais même plus pourquoi je me suis lancé là-dedans… Sans doute une grandeur d’âme de fin d’étude.
Allez … arrête de réfléchir. Il faut couper.
Laure Stichelbaut

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Malgré la peur, la fatigue,  pas une plainte ne se faisait entendre. Aliou, Lassana et Sérité marchaient côte à côte ; concentrés sur l’effort, ils essayaient de chasser les images d’épouvante de la journée passée et de celle à venir. Les pensées erraient, laissant sur les visages gris de fatigue, l’ombre des inquiètudes.

-          J’ai de l’allure avec cette arme dans les bras.
-          Fini le pauvre gars toujours prêt à se battre pour un fruit pourri.
-          J’ai mal au ventre, sûrement le mauvais alcool qu’ils nous donnent avant de combattre.
-          Elle brille comme les voitures des riches, je sens l’odeur de la graisse, le chef a du voir que je m’applique à l’entretenir.
-          Quand je tire ça me secoue jusqu’au fond du ventre.
-          C’est dégueulasse quand les balles explosent la tête ou les boyaux mais quand je tire je ne peux plus m’arrêter.
-          Je suis fatigué mais quand on s’arrête pour dormir je n’ai pas envie de fermer les yeux. J’entends les autres qui crient en dormant.
-          J’aime le bruit de mon fusil, c’est comme un rythme rien que pour moi, ça m’empêche d’entendre les cris.
-          Il y a toujours des bonnes femmes pour te supplier, un coup de crosse et finis les pleurs.
-          Parfois y-en a une qui me fait penser à ma mère, j’aime pas ça, ça me met en colère, alors je tire, je tire, ne plus la reconnaître, ne plus voir ses yeux.
-          Je suis important, y-a qu’à voir comment ils me regardent.
-          C’est bizarre j’ai toujours mal au ventre, je ne suis pas malade, je suis un dur. Faut y aller.
Françoise Bourdon

jeudi 26 mai 2011

INCIPIT

Hélène sourit à l'homme satisfait qui l'ennuyait depuis le début de la soirée, passa distraitement un doigt sur le rebord de son verre, l'espace d'un instant hésita entre se lever pour aller aux toilettes ou demander au journaliste assis à sa droite ce qu'il pensait des journaux en ligne...

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Ombres


...
Elle décida de fuir ce lieu. Ne plus être là, avec ces gogos désœuvrés dont elle n'avait que faire.
Elle n'alla pas aux toilettes, ne demanda rien au journaliste. Elle sortit, laissant son verre inachevé.
Dehors, elle respira.
Elle ne pouvait plus supporter les autres. Elle suffoquait en leur présence, sous le coup d'une intolérance à fleur de peau, une sorte de répulsion incontrôlable.
Tous ces hommes croisés, allumés, jetés... toutes ces liaisons, les vraies, les fausses, toutes ces attentes, ces désillusions, ces départs...
Elle avait pris l'habitude de finir ses nuits dans des soirées comme celle-là, d'où elle sortait vaseuse, mécontente d'elle.
Ses talons claquant sur le macadam, elle regarda la lune coincée entre les immeubles.
Où allait-elle aller cette nuit ?
Elle s'assit sur un banc.
Ses souvenirs se détachaient d'elle comme des bulles crevant l'une après l'autre.
Elle sortit une cigarette de son sac, l'alluma avec son briquet.