samedi 28 mai 2011

ENFANTS-SOLDATS














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Humanitaire

Il fait chaud. Humide. 
Tout le monde est épuisé. On est là depuis 5 jours. On se relaie comme on peut mais la fatigue est palpable. Les yeux piquent, les nuques se raidissent, les estomacs se retournent et malgré tout, nos gestes doivent rester précis. Il n’est même plus question de lucidité, nous travaillons à l’instinct.

Nuit, jour, qui sait ? On s’en fout. 5 jours que les affrontements ont repris.
Le dispensaire est dans un état pitoyable. Comme nous tous. Comme eux.
Saloperie de guerre.

Cette nuit encore, est arrivé un gamin. Porté par deux de ses camarades, les armes en bandoulière. Une jambe arrachée.  Pas beau à voir. Je pense tout de suite « amputation ». Ca me glace.
Quel âge peut-il avoir ? Il me paraît encore plus jeune que les autres. Mais où vont-ils les chercher ?
Le regard qu’il me lance se veut féroce, comme pour me prouver qu’il a bien raison d’être là, que c’est un guerrier, qu’il n’a  peur de rien. Moi, je vois des yeux d’enfant avec quelque chose d’encore tendre. Je vois une jambe déchiquetée jusqu’à un point de non retour. Je vois un petit être frêle qui sert les dents pour ne pas hurler de douleur.  Je vois un gamin qui se vide de son sang, à qui on a volé sa vie d’enfant et qui ne devrait rien avoir à faire ici.

Le pire dans tout ça, c’est que je sais qu’on n’arrivera pas à se parler. Foutus dialectes.
Je plonge mes yeux dans les siens. Je voudrais qu’il comprenne combien il est petit, combien je vais prendre soin de lui, combien je suis désolé.
Et puis il faut faire vite. Jean prend le relai. On connaît la marche à suivre. Il va l’anesthésier. Je ferai le reste.

Humanitaire… et merde! Je ne sais même plus pourquoi je me suis lancé là-dedans… Sans doute une grandeur d’âme de fin d’étude.
Allez … arrête de réfléchir. Il faut couper.
Laure Stichelbaut

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Malgré la peur, la fatigue,  pas une plainte ne se faisait entendre. Aliou, Lassana et Sérité marchaient côte à côte ; concentrés sur l’effort, ils essayaient de chasser les images d’épouvante de la journée passée et de celle à venir. Les pensées erraient, laissant sur les visages gris de fatigue, l’ombre des inquiètudes.

-          J’ai de l’allure avec cette arme dans les bras.
-          Fini le pauvre gars toujours prêt à se battre pour un fruit pourri.
-          J’ai mal au ventre, sûrement le mauvais alcool qu’ils nous donnent avant de combattre.
-          Elle brille comme les voitures des riches, je sens l’odeur de la graisse, le chef a du voir que je m’applique à l’entretenir.
-          Quand je tire ça me secoue jusqu’au fond du ventre.
-          C’est dégueulasse quand les balles explosent la tête ou les boyaux mais quand je tire je ne peux plus m’arrêter.
-          Je suis fatigué mais quand on s’arrête pour dormir je n’ai pas envie de fermer les yeux. J’entends les autres qui crient en dormant.
-          J’aime le bruit de mon fusil, c’est comme un rythme rien que pour moi, ça m’empêche d’entendre les cris.
-          Il y a toujours des bonnes femmes pour te supplier, un coup de crosse et finis les pleurs.
-          Parfois y-en a une qui me fait penser à ma mère, j’aime pas ça, ça me met en colère, alors je tire, je tire, ne plus la reconnaître, ne plus voir ses yeux.
-          Je suis important, y-a qu’à voir comment ils me regardent.
-          C’est bizarre j’ai toujours mal au ventre, je ne suis pas malade, je suis un dur. Faut y aller.
Françoise Bourdon

jeudi 26 mai 2011

INCIPIT

Hélène sourit à l'homme satisfait qui l'ennuyait depuis le début de la soirée, passa distraitement un doigt sur le rebord de son verre, l'espace d'un instant hésita entre se lever pour aller aux toilettes ou demander au journaliste assis à sa droite ce qu'il pensait des journaux en ligne...

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Ombres


...
Elle décida de fuir ce lieu. Ne plus être là, avec ces gogos désœuvrés dont elle n'avait que faire.
Elle n'alla pas aux toilettes, ne demanda rien au journaliste. Elle sortit, laissant son verre inachevé.
Dehors, elle respira.
Elle ne pouvait plus supporter les autres. Elle suffoquait en leur présence, sous le coup d'une intolérance à fleur de peau, une sorte de répulsion incontrôlable.
Tous ces hommes croisés, allumés, jetés... toutes ces liaisons, les vraies, les fausses, toutes ces attentes, ces désillusions, ces départs...
Elle avait pris l'habitude de finir ses nuits dans des soirées comme celle-là, d'où elle sortait vaseuse, mécontente d'elle.
Ses talons claquant sur le macadam, elle regarda la lune coincée entre les immeubles.
Où allait-elle aller cette nuit ?
Elle s'assit sur un banc.
Ses souvenirs se détachaient d'elle comme des bulles crevant l'une après l'autre.
Elle sortit une cigarette de son sac, l'alluma avec son briquet.

mardi 17 mai 2011

LES YEUX CLOS




Évocation de la vie et de l'œuvre d'Odilon Redon, auquel une exposition rend actuellement hommage au Grand Palais, des "noirs" aux lumineuses visions des dernières toiles.
Écrire un texte en résonnance avec le tableau "Les yeux clos".






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Incantations

Étranges visages déformant l'eau dans les berges de la nuit d'où s'envolent les monstres ailés de l'aube,
Horreurs surgies des profondeurs marines, sources alcalines des délires houleux de mes nuits sans lune,
Transfigurations invisibles des membres tordus, perdus dans les brumes luminescentes des opalescences vertes,
Déités sans visage et sans yeux surgies de mes cauchemars somnambuliques nauséeux et violets,
Regards ployés, plongés dans le vide des royaumes de boue et de lactations défuntes, où des terres arides affleurent des ombres cornues aux griffes innombrables,
Obscures flamboyances, déesses bleue et or suçant la mort dans le berceau des songes,
Pâles visages des morts intranquilles perdus dans l'éther de l'au-delà des rêves, pustuleuses arborescences des corps suintant de vers dans les ténèbres fumantes des cavernes marines,
Gouffres souterrains où gisent des blanches entités, labyrinthes putrides de ma mémoire d'alambic noir,
Obscurs territoires où cristallisent les ombres rejetées, déployant de subtiles magnificences non rachetées par la beauté des songes,
Ô puits sans fond de l'errance insatiable des sortilèges, profondeurs hurlantes où passent les oiseaux lugubres de l'azur strié de rouge,
Sanguinolences féeriques où je me perds sans espoir de réveil...

Bernadette Behava

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Les yeux clos

La fièvre monte. Rien à faire pour rafraîchir ce front brûlant, si ce n’est tremper la malade dans l’eau. Le visage se détend, les tremblements cessent, la respiration se calme ; les yeux se ferment alors délicatement sur les hallucinations fébriles. Seul un vague murmure franchit les lèvres closes, nous assurant qu’elle est encore un peu parmi nous.
Derrière les paupières surgissent les chimères grimaçantes. Venues de nulle part des formes s’enroulent, s’élèvent, se renouvellent sans cesse, entraînant la malade dans un univers de monstrueuses bulles noires.

mercredi 11 mai 2011

PAYSAGES

Paysage-émotion, paysage-résonnance, paysage-histoire, paysage-monde, paysage-soi... Décrire un paysage réel ou inventé, avec précision, sans en omettre toute la subjectivité.

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Lignes de grève


Le long du cordon d’algues, je dessine du regard les marées montantes.
Au-delà, sur le sable reste gravée la géographie des passants. Se croisent alors les itinéraires sagement éloignés de l’eau et ceux, aventureux, flirtant avec le ressac.
Je suis bientôt hypnotisée par la ligne blanche sans cesse renouvelée, quand je pense en tenir le bout, elle s’échappe pour renaître de la respiration infinie de l’océan.
Peu à peu je gagne des yeux l’immensité ponctuée d’éclats vifs et secs du soleil en morceaux.

Françoise Bourdon

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Dans le car

Elle voyait de la vitre les arbres défiler, et c'était sans fin, et elle se disait qu'il avait raison, le curé, Dieu devait être Tout-Puissant, puisqu'il avait tout créé et ce jusqu'à la dernière feuille. Même les gouttes de pluie qui tombaient des arbres, gouttes qu'elle aurait tant voulu boire, la tête en arrière, même elles, oui, c'était Dieu, il n'avait rien oublié, il avait pensé à tout.
Peu de temps s'était passé, sans doute peu de kilomètres, mais elle avait l'impression, dans ce car brinqueballant qui transportait toute la colo, de traverser d'innombrables frontières, de franchir d'infinis horizons et d'arriver ainsi, à la fin de la journée, de l'autre côté du monde.

En voiture

Elle fut très vite prise de quintes de toux incoercibles. Le paysage entrait dans la voiture, plongeait en elle, finissant par faire partie intégrante de son corps.
Au secours, mes yeux vont tomber par terre à force de ne plus voir que du sable. C'est donc ça, l'enfer.
De chaque pore de sa peau sortait une goutte, elle n'était plus que liquidités-sur-cuir-brûlant.
Elle ouvrait et refermait la bouche spasmodiquement.
Et, pour mieux encore la torturer, en surimpressions, des images de prés, de forêts, de verdure comme autant de mirages.
Dans cette voiture qui filait sur le sol aride devisaient tranquillement ses amis grecs, le poil sec, la peau boucanée, certes, mais tellement à l'aise...

Bernadette Behava

mardi 3 mai 2011

HAIKUS







Trois thèmes :

Veiller,
Le pain,
Fukushima







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Veiller


Fenêtre ouverte
Pas silencieux dans la nuit
Peut-être ai-je rêvé?

Les yeux grands ouverts
Il entend le temps qui passe
Sans se retourner


L. B.

Vent dans les collines
Temps de grande douceur
Et pourtant je pleure

Ils sont déjà morts
On nous l'a dit et redit
Je les vois bouger

Bernadette Behava


Autour du feu vif
Les ombres dansent et caressent
Les douces berceuses


Une, puis deux, puis mille
Les étoiles allument la nuit
     Et guident les songes    

Au calme du soir
Les hérissons en procession
 De limaces se gavent