mercredi 13 octobre 2010

SIX PARFUMS

Sur la table, dans des soucoupes, sont disposés des grains de café, des bâtons de cannelle, des fleurs de camomille, de la chicorée, des feuilles de menthe et du thé au jasmin.
Ecrire un texte à partir de l'une de ces odeurs et de ce qu'elle évoque.

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Je me lève et la première chose que je fais, c'est prendre un café. En pensant à lui. Forcément. Je me dis : encore un matin dans l'absence. Que fait-il en ce moment ? Pourvu que tout se passe bien.
Je sais qu'il n'accomplit pas le geste forcément en même temps que moi ; je l'imagine cependant.
Et je me demande combien de temps il arrivera à durer tout seul, combien de temps je n'entendrai plus parler de lui.
Je m'assieds à la table de la cuisine avec ma tasse. Je bois. Je pense que je n'aime pas le café, trop âcre, trop amer malgré le morceau de sucre.
Je pense à lui. Je ne suis pas tranquille. Il vit je ne sais où, de je ne sais quoi, il est peut-être en danger. Sûrement, même. Je ne suis sûre que d'une chose à son sujet : là où il est, il boit du café. Il en boit toute la journée mais sa bouche continue de rester sèche.
Un malaise m'envahit tandis que j'avale chaque gorgée. J'ai de la peine à respirer, je me sens couverte de sueur. Et je me demande pourquoi je suis en train de boire du café.
Il en boit comme d'autres de l'eau. Tout le temps et longuement. Je connais par cœur le crachotement de la cafetière. Je l'appréhende à chaque fois. Trop de café.
Je sais que je vais en trouver des traces un peu partout. Je sais qu'il recommencera sans cesse à salir, incapable de ne rien renverser. Je sais aussi qu'il fait couler du café sur ses vêtements sans même en avoir conscience.
Quand il est dehors, il se dirige toujours vers la machine à café la plus proche ; une fois servi, il boit tout en marchant. La dose de caféine qu'il s'octroie quotidiennement ne l'énerve jamais.
Ce matin, il n'est pas là. Je n'ai pourtant pas envie de penser à lui. Nos atomes ne crochent pas. Et pourtant je bois ce café que je n'aime pas comme on entre dans une maison hantée. Et je me demande : là où il est, a-t-il sa dose ?

Bernadette Behava

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Dans la cuisine surchauffée, la buée dégouline sur les carreaux.
Il fait froid dehors, il pleut, ça gadouille de partout.
À peine entrée dans la maison je sens une chaude odeur qui se faufile à travers celles de la laine humide des manteaux, du cuir trempé des chaussures, des chiens boueux.
Dans la cuisine m’assaillent les odeurs de la soupe qui mijote, de la cigarette du grand-père, des volailles que l’on a plumées, du journal.
Mais celle que je distingue entre toutes est celle qui monte jusque dans les chambres dès le matin et que l’on retrouve le soir quand on va se coucher, la brique chaude enveloppée de papier journal.
L’odeur du café ?
Non pas celui de Monsieur Clooney, ou de ces anges évanescents qui tourbillonnent dans un petit noir.
Non, celle qui émane de la cafetière émaillée posée sur le coin de la cuisinière à bois, l’odeur du café-chicorée que l’on boit à longueur de journée et qu’on offre à tout visiteur : facteur, ami, voisin……Parfois allongé d’un fond d’alcool : la bistouille.
Pas question de le boire debout, à la hâte. La grand-mère est vigilante, car elle sait bien qu’à boire son café debout on risque bien de se fâcher avec quelqu’un dans la journée. Alors on se pose autour de la grande table, on prend le temps de, soigneusement touiller le sucre au fond du verre, d’offrir un canard aux enfants.
L’odeur du café est ce qui me reste de mes grands-parents disparus.
En passant devant le rayon café du supermarché, devant la boutique du torréfacteur, en m’asseyant dans un bar près du percolateur je retrouve quelque chose de la vieille cuisine et de mon enfance.
J’ai même fait l’acquisition d’une cafetière programmable pour sentir la chaude odeur du café avant d’ouvrir les yeux.
Il y a cinq ans ma vie a failli basculer : après avoir bu ma première tasse du matin j’ai fait un malaise et je me suis retrouvée en soin intensifs, hémiplégique, diminuée. Je n’ai plus jamais bu de café tant son arôme est resté associé à cet événement. Pourtant j’ai continué à aimer cette odeur.
Me croirez-vous si je vous dis que ce midi je me suis installée dans un bar pour écrire à mon fils et que j’ai commandé un café………

Françoise Bourdon

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UN MOT POUR UN AUTRE

Putréfaction.
Ce mot dont l'évocation fait naître l'image de chairs en décomposition et donne à sentir l'odeur de la mort fut pour moi, bien avant que j'en comprisse le sens, synonyme de délice.

Il y avait dans la ville de province où nous habitions une petite place, pavée, cernée de maisons à colombages vestiges du moyen âge et sous les pavés de laquelle dormait non pas la plage mais le souvenir des grains de blés qu'on y vendait jadis et dont elle avait gardé le nom, la place aux blés.
On y trouve d'ailleurs, encore aujourd'hui, deux boulangeries.

Je suis sur la place avec mon père. Je dois avoir 7 ou 8 ans.
C'est un soir d'automne, d'hiver peut-être. La nuit tombe. Je frissonne.
Pas seulement de froid mais de plaisir aussi. Nous sortons du magasin de chaussures qui se trouve à l'un des angles de la place et je porte fièrement aux pieds les bottes de cuir bicolore brun-fauve qui me faisaient de l'œil chaque fois que je passais devant la vitrine et que mon père vient tout juste de m'offrir.
Le roi n'est pas mon cousin et même s'il l'était, rien ne pourrait égaler la fierté qui fait claquer sur le pavé mes bottes rutilantes. Et mes yeux ne savent plus où donner du regard, tantôt soulevés de gratitude vers le visage de mon père pour aussitôt, l'instant d'après, mêlés de bonheur et d'angoisse, s'assurer que les bottes sont bien là à mes pieds et que je ne vais pas, soudain, comme la petite fille aux allumettes, me retrouver en plein hiver pieds nus dans la rue.
Je serre plus fort la main de mon père et plonge mon museau dans son manteau.
J'aime ce parfum de tabac brun qu'il emporte partout avec lui. Il niche dans ses vêtements, se glisse dans sa moustache, s'immisce dans ses baisers, flotte autour de lui comme un vêtement trop large.
Je serre plus fort la main de mon père et nous nous dirigeons vers une petite boutique à l'angle opposé de la place dont le souffle chaud et odoriférant sature l'air alentour.
Une sonnette aigrelette annonce notre arrivée.
Nous sommes dans l'antre des délices
Derrière le hublot d'une centrifugeuse des grains de café dansent exsudant un alliage envoûtant où se fondent tout ensemble, caramel, moka, pain d'épice, poivre, chocolat.
Un carrousel d'arômes doux amer âpre et entêtant, m'assaille et me grise, décille mes papilles, dilate mes narines.
Une odeur de café puissante comme du fer chauffé à blanc.
Pendant que mon père choisit parmi les grains oblongs saturé de chaleur le mélange à qui échouera la lourde tâche de le réveiller le matin, je plonge avec délectation mon nez dans une cuve où une large pâle de fer blanc brasse les grains encore chauds et j'invoque le dieu du café de lui faire prendre tout son temps.
Avec des gestes d'alchimiste, le vendeur fait enfin glisser à petits coups saccadés les grains élus dans un sachet de papier qu'il me tend. Nous payons et sortons salués par la petite sonnette aigrelette. Vite une dernière bouffée!
La nuit est tombée. Lampions suspendus aux façades des maisons, les fenêtres brillent..
Avec la componction d'un processionnaire portant la sainte ampoule je tiens entre les mains le sachet qui recèle la promesse du breuvage sacré.

Papa
oui?
J'aime la putréfaction du café
La quoi???
   La putréfaction du café       
Dans un grand rire qui résonne encore à mes oreilles mon père répondit
-Torréfaction, ma fille. On dit Torréfaction

L. B.

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