lundi 20 juin 2011

LE MONASTERE



Silence, obéissance, renoncement au monde, vérité, lumière, mystère de la vocation... le monastère est une question.
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Couvent 1

C’est dans un coin de moyenne montagne. Plein Est.
La route nationale se change en départementale. Elle est jusque-là goudronnée, lisse et noire. Et puis elle se transforme en chemin, chaotique et verdoyant. Elle a abandonné au fur et à mesure les villes, les villages, les hameaux et maintenant toute ténue, serpentant délicatement sur le flanc de la montagne, elle mène au terme.
D’ailleurs elle ne va pas plus loin.

Virginie s’extrait de sa voiture. Claque la porte. La tôle résonne. C’est le signal, elle passe à autre chose.

Elle y songeait depuis longtemps. Une idée fixe. Sortir des verbiages inutiles. Déserter les lieux encombrés. Rompre les rythmes incessants.

Elle parcourt la fin du sentier à pied. Monte. Son sac à bout de bras et c’est la pierre qui l’accueille.
Une forteresse. On dirait une forteresse.
Elle se sent loin de sa vie. Elle sait que l’inconnu la fait paniquer. Elle sait que la solitude lui donne le vertige, mais aujourd’hui elle accepte sans crainte ce sentiment nouveau d’être au cœur d’une certaine justesse.

Elle franchit le seuil. La lourde porte se referme.
Silence.
Elle aura enfin du temps pour se laisser bercer par les frottements des pas sur la pierre, le rythme des prières, la cadence des chants,
Elle aura enfin du temps pour réveiller une nouvelle forme de vie. À l’intérieur.
Ce qu’elle veut c’est se calmer. Se consoler.

Couvent 2  : confesse

Pour l’instant, c’est Julien qui s’y colle.
Louis attend. C’est long.
Louis est un petit garçon chétif, pâle. Il donne une impression de vide à l’intérieur. Louis a 10 ans.

Ce matin ce n’est pas le père Broc qui les fait passer. Dommage.  Il est sympa le père Broc. Il les fait rigoler avec son nom. Père Broc, P. broc. Comme le parapluie.

Julien ressort avec une drôle de tête. Il regarde ses pieds. Jette un coup d’œil à Louis. C’est son tour.

Le banc est à la perpendiculaire du confessionnal. Il est trop étroit. Trop haut. Chaque fois, le choix est difficile. Ou bien il s’assoie au fond et ses jambes pendouillent. Ou bien il met ses fesses au bord et il garde une espèce d’équilibre précaire.
Il fait sombre. Froid. Ca sent le bois humide. L’odeur de la cave.

Il tourne la tête à droite et se trouve nez à nez avec ce panneau de bois troué. Un cauchemar. Louis ne sait jamais trop ce qu’il se passe derrière. Une ombre. Un souffle. Ou rien. Que son imagination. C’est étrange de devoir parler à un fantôme. Louis a peur des fantômes.

- Alors mon petit …
Il va falloir y aller. Tout se coince dans sa gorge. Aspiré de l’intérieur. Il sait qu’il doit avouer. Mais quoi ? Louis fait toujours tout ce qu’il faut. Sage. Gentil. Poli. Louis ne fait jamais de vague. Pas de colère. Pas de bêtise. Louis encaisse.

Du blanc. Il voit du blanc. C’est la trouille.
Le temps s’étire. Et rien ne vient. Il gigote sur son banc.
C’est sans doute ça être mauvais. Le mal résiste dedans. il va devoir l’extraire. Le salut est à ce prix.
Il cherche. Les mots ne sortent toujours pas.

Quelques minutes plus tard, Louis ressort.

-A-t-il commis des actes impurs ?
-A-t-il souillé son âme avec des pensées impures ?

Il ne comprend rien. Tout lui échappe. Il devrait se sentir mieux, purifié. C’est pire. Il étouffe.
Qui est-il pour n’avoir rien à avouer ?

-A-t-il volé, menti, tué ?
-A-t-il laissé grandir en lui de la jalousie pour le bien des autres ?

Le bien… le mal …
Louis se sent du côté du mal. Il crève d’envie d’être comme les autres. Le bien … c’est quoi ? Avoir de quoi décharger sa conscience, avoir de quoi se confesser ?

Tout ça est très compliqué. Tout ça est secret.

Au nom du père et du fils et du saint esprit.

Amen.

Laure Stichelbaut

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Au monastère

Je ne peux la voir souvent. Il y a tellement d'offices entre Prime, Laudes, Tierce, qui ponctuent la journée.
Et puis elle travaille, à l'intérieur de la clôture. Le temps de parloir est compté.
Sœur Bénédicte vient me chercher dans ma cellule. J'écris sur une petite table où sourit une fleur – la sacro-sainte hospitalité de Saint-Benoît ! Chaque hôte a droit à la même. Il faut vous traiter comme si vous étiez Jésus en personne.
Autant dire que vous êtes flattée pour peu que vous ne soyez pas habituée aux attentions.
Je descends jusqu'à la clôture qui se trouve dans le bâtiment attenant à la chapelle. La pièce des visiteurs est agréable, ouverte sur un jardin bien entretenu. La séparation est juste marquée par une table. Pas de grille comme dans les couvents d'autrefois. On peut se prendre les mains.
J'entends un bruit. Elle arrive. Robe noire austère et voile d'où pas un cheveu ne dépasse. Noir lui aussi, bordé de blanc. Une Bénédictine.

Il y a eu plusieurs périodes.
Déjà, il me fallut avaler que ma meilleure amie entrât au monastère. Je venais juste de divorcer, et ma liberté recouvrée me faisait pousser des ailes. Mais au moment où je rêvais de voyages en sa compagnie, elle choisit Dieu, passant de l'autre côté du monde, de moi et de la vie. Pour toujours.

Pour la prise de voile, j'avais mis des lunettes noires. Je m'étais installée au premier rang pour ne rien rater. Elle est arrivée dans un grand frou-frou, s'est prosternée, que dis-je couchée, devant l'autel, les bras en croix.

J'étais séparée d'elle par la clôture – dans l'église une grille bien noire – mais la visibilité était bonne.
J'ai détesté qu'elle chantât en latin avec exaltation, j'ai détesté le sermon du prêtre – je n'ai pas reconnu mon amie dans ses propos lénifiants. J'ai détesté l'attitude effacée des nonnes autour d'elle. "La petite fiancée" du Christ s'était mariée. Respect ! Chacune gardait un visage impassible. Quant à moi, mes larmes coulaient, coulaient...

J'amenais toujours au monastère sa mère, son frère et le chien. Je passais les prendre à Dijon, mes gosses déjà au fond de la voiture. Chacun se casait comme il pouvait, la mère devant, avec le chien. Le frère, handicapé, comme on dit, derrière, au milieu des miens plutôt remuants.

La table d'hôtes. Fin du repas. On nous sert de la vodka pour fêter un hôte de passage débarquant de Russie.
La mère de Millou boit, souffle sur son verre.
-  Elle est chaude, l'eau !
Personne n'ose rire.
Puis, elle me regarde, en face d'elle :
-  Tu es Jésus !
Quelques rires fusent. Je retiens mon sourire. J'ai les cheveux longs et frisés, mais quand même...
Chaque nuit, la maman de Millou quitte sa cellule. Une religieuse en prières à l'église la ramène à chaque fois à son lit, après qu'elle l'a trouvée écrasée sur l'autel parce que je veux que Jésus vienne me prendre !
Se trompant dans les doses de médicaments, elle fit périr successivement son fils et son chien, avant qu'on la plaçât. Elle eut le temps de faire flamber sa maison, ayant oublié un brûleur, avant de courir hagarde, vers je ne sais quoi, dans les rues de Dijon.

Mon amie arrive enfin. J'avais trompé le temps comme j'avais pu avec le Pèlerin et Famille Chrétienne. Le problème avec Millou, pardon sœur Marguerite Marie, c'est que dès que je la vois, je pleure.
Elle est tellement gentille ! Elle me manifeste une telle empathie ! Elle me fait parler, parler... Je plonge dans l'état victimaire et mes larmes débordent. Qui ne me soulagent pas. Il y a un tel contraste entre ma vie à Paris, toujours à me battre, et la sienne, si paisible ! Les conflits ne durent jamais dans leur communauté parce qu'il y a le pardon.
-  Ah, s'il n'y avait pas le pardon, on s'écharperait, sourit-elle.
Je parle. Je parle. Et je pleure.
Souvent, elle amène quelqu'un avec elle, quelqu'un qui sait mieux, la mère des novices ou la mère supérieure. Elles, elles sont éclairées. Elles reçoivent leur don de discernement de l'Esprit Saint.
À elles, cependant, je parle moins. Les mots se tarissent dans ma gorge. Mais ne faut-il pas que je rentre dans le droit chemin pour gagner la paix de l'âme et mon paradis de surcroît ?

Je viens de rentrer du monastère. Une lettre est déjà arrivée. Elle vient de Millou. Il y a aussi un mot glissé dans l'enveloppe, un mot de sœur  Marie-Dominique.
-  Tu comprends Bernadette, l'attitude de Frédéric est inacceptable. Il n'écoute pas quand on lui fait des remarques. Il parle tout fort aux offices ou bien rit. Et j'ai découvert en rangeant sa cellule qu'il avait couvert les draps de feutre...
Au monastère, Frédéric se sent comme chez lui. En pire. Il refuse de dire bonjour, de faire des bises aux sœurs. J'ai la hantise de ce qu'il va dire ou faire.
Au parloir, un jour, la Mère Supérieure mandée par Millou exprès pour m'expliquer un point de doctrine nécessaire à mon édification, se plaignit que Frédéric ne lui eût pas dit bonjour.
Il lui répondit sans vergogne : Mais je t'ai embrassé les fesses !
À la lecture de la lettre, je me renfrogne. Je me dis que je ne remettrai plus les pieds au monastère.

Au parloir, Millou m'entretient gravement :
-  Dieu a des vues sur toi. Il marche vers toi mais il est délicat. Il ne se montre pas. Si tu l'appelles, il te répondra. Si tu le cherches, tu le trouveras au fond de ton cœur. Mais il te laisse libre.
Ou
-  Tu devrais prier Marie. S'il y a quelqu'un qui peut te comprendre, c'est elle. Regarde ce qu'elle a vécu avec son Fils.
J'émets une faible protestation, elle continue :
-  Mets-toi à genoux et chante le Magnificat.
Je crois rêver. Chanter, moi ? Et en plus pour remercier Marie pour mon Chemin de Croix parce que telle est la Volonté du Père ?
Je ravale mes mots.

J'aime l'endroit où est située l'abbaye, en pleine campagne, dans la Bourgogne profonde. Tournus n'est pas loin et sa Basilique est belle. Les promenades autour m'enchantent.
J'adore ma cellule, silencieuse et calme, le chant des cloches qui appellent aux offices. J'y vais une fois sur trois. Je sens un reproche feutré, jamais exprimé.

C'est veille de Pâques. Une fois dans l'année, les hôtes ont le droit d'aller de l'autre côté, dans la clôture. Un grand feu est allumé dans le parc et prières et répons se succèdent dans le plus grand silence.
Nous portons chacun un cierge, solennellement, et la procession s'ébranle dans les allées bien entretenues par les moniales elles-mêmes.
Je suis fatiguée, il fait si froid, je pense à mon lit. Le silence est sépulcral. C'est ça, la joie de Pâques ?
Mon cierge penche dangereusement. Je sens la cire chaude sur ma main. La flamme s'approche de mes cheveux. Je l'écarte juste à temps.
-  Merde !
Il fait nuit noire mais j'ai la sensation d'une centaine de paire d'yeux braqués sur moi. J'ai envie de rentrer sous terre.

Avec quel soulagement je quittais le monastère, bien souvent ! Un soulagement mêlé d'amertume. Je ne me sentais pas exister pour ce que j'étais. Tellement différente d'elles. Rebelle.
Un jour, j'apportai au parloir un livre dont on parlait beaucoup à l'époque à l'ombre de Claire. Celle-ci évoquait à longueur de pages son parcours en tant que novice, ses déceptions, dans une abbaye et les difficultés qu'elle eut pour en sortir, alors qu'elle n'avait pas encore prononcé ses vœux.
Mon amie me regarda avec des yeux scandalisés :
-  Tu ne devrais pas lire de tels livres. Ça nous fait du mal, à nous, ici. Parce que les gens se font une fausse idée de la vie au monastère.
J'en baillai tout bleu.

-  On l'appelle par son prénom, maintenant. Elle rit, très à l'aise.
-  Le pape l'a excommunié. Pour nous, il n'existe plus. Plus de Monseigneur !
À l'époque, ni l'une ni l'autre ne pouvions savoir qu'il allait entrer en grâces sous le prochain pontificat.
Si elle avait su que je préférais à tous le père Gaillot, l'iconoclaste ! excommunié par l'Église, lui aussi.

La façon dont je menais librement ma vie la désolait profondément. Comment me faire comprendre ?
Elle me prêta des livres, du style Comment élever un enfant difficile ou Les secrets de l'amour divin.
Ma vie amoureuse, surtout, l'effarait. Le récit de mes mariages, mes divorces, mes liaisons, l'atterrait. Le pire de sa désapprobation fut atteint quand je lui parlais de M. que j'allais épouser. Il avait quinze ans de moins que moi.
Je crus qu'elle allait s'évanouir.

J'avais trop connu de curés autoritaires, trop subi de catéchisme ennuyeux, trop reçu de claques dans la figure, trop souffert aux messes et aux fêtes carillonnées, du froid des églises, du regard réprobateur du prêtre, de ses sermons énoncés d'un ton doucereux.
J'étais traité de menteuse tout le temps.
Tout cela parce qu'à confesse, tout en recevant l'haleine fétide du curé en plein visage, sans le regarder derrière la grille, les genoux douloureux sur le petit banc de bois, je déballais tout ce que j'avais pu recopier comme pêchés dans le catéchisme. La liste entière. Il fallait faire bonne mesure. Plus il y aurait de pêché, mieux ce serait. Le Paradis était à ce prix.
Ma grand-mère à qui je les lisais me regardait avec des yeux épouvantés. J'étais le Diable. Elle allait prévenir mes parents, au cas où ceux-ci n'auraient pas été au courant que j'étais, à dix ans, complètement damnée.

Vendredi Saint. À l'église. Glaciale, comme d'habitude. Ma tante à côté de moi, la bouche pincée. Tristesse au cœur. J'ai 14 ans. Personne ne m'aime. Il nous faut aller en procession embrasser – on ne disait pas baiser ce qui est pourtant le mot exact – le bout de bois sanguinolent étalé sur l'autel.
Je fais comme les autres. J'ai mal au cœur. Je pleure. Personne ne m'aime. Et pour faire bonne mesure, ma tante me pince parce que, vraiment, ça se voit que tu n'es pas une bonne chrétienne !

Bernadette Behava

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