samedi 23 juillet 2011

PAYSAGES

Paysage-émotion, paysage-résonnance, paysage-histoire, paysage-monde, paysage-soi... Décrire un paysage réel ou inventé, avec précision, sans en omettre toute la subjectivité.



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Lignes de grève


Le long du cordon d’algues, je dessine du regard les marées montantes.
Au-delà, sur le sable reste gravée la géographie des passants. Se croisent alors les itinéraires sagement éloignés de l’eau et ceux, aventureux, flirtant avec le ressac.
Je suis bientôt hypnotisée par la ligne blanche sans cesse renouvelée, quand je pense en tenir le bout, elle s’échappe pour renaître de la respiration infinie de l’océan.
Peu à peu je gagne des yeux l’immensité ponctuée d’éclats vifs et secs du soleil en morceaux.


Arrivée nocturne en paysage inconnu
La nuit est noire d’encre quand j’arrive à destination. Dans la trouée des phares j’aperçois l’enchevêtrement végétal du jardin livré à lui-même. Je quitte mon cocon de fer munie de la clef et me dirige vers la porte à travers ce paysage inconnu et encore invisible. Je devine les haies fleuries dont les odeurs m’accueillent dans la douceur nocturne ; le murmure tiède d’un souffle dans les feuilles et j’imagine les grands arbres ; un peu plus loin derrière moi : le bruissement ondulant des hautes herbes.

Après une nuit de craquements, de grincements, de pépiements, de miaulements, de chuchotis inconnus, j’ouvre les volets doublés de soies et découvre le paysage dans le matin éblouissant. C’est alors que prennent corps les grands arbres esquissés dans l’obscurité ; de hauts noyers qui dispensent une ombre si froide et si profonde. A mi chemin entre le portail rouillé et la maison la voiture semble abandonnée aux lianes exubérantes, volubilis et clématites rivalisent d leurs tentacules fleuris. Au-delà de ce petit domaine délicieusement sauvage mon regard glisse sur la houle des orges, puis se heurte à la géométrie des vergers rectilignes avant de gravir les monts bordant la plaine. L’Angélus me ramène au village dont j’aperçois les toits dans le fouillis des jardins ; seul le clocher émerge modestement comme pour guider le voyageur dans les interminables allées des vergers odorants.


Françoise Bourdon


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Archipel

La chaine se déchaine bruyamment dans le dévidoir. A toute vitesse. L’ancre file vers le fond de l’eau.
Elle, si balourde à l’air libre, danse tranquillement, portée ça et là par le courant et puis elle se couche délicatement sur le fond de l’eau. Elle repose.

Silence.

Refuge après des heures de vent, de sel et de mer, L’archipel nous recueille en son antre le temps d’une nuit. Pas la peine de s’agripper, il nous prend dans ses bras. Les muscles saillants, la douceur de sa chair, le souffle encore chaud du jour sont autant de rempart. Il est là depuis toujours et n’a jamais failli.
Cocon au milieu de l’océan. Une planque à l’abri de tout.

Les corps encore fébriles, les peaux fiévreuses, nous y sommes.

Extra plat, tout juste ébouriffé au delà de la bande de sable, par les joncs qui se balancent en rythme d’un côté puis de l’autre, il parait presque squelettique, posé entre ciel et mer, déchiqueté de toutes parts. Et puis non, Il est fait d’une cohérence qui nous échappe, d’un sens naturel qu’on ignore.

L’essentiel est qu’il est. Et qu’il veille.

La nuit pointe son nez. Le ciel chaud se refroidit. Il prend la couleur de l’eau. L’air se charge d’humidité et la vision se brouille. Les contours se floutent. Les sons s’étouffent.

Mer intérieure. Nous sommes au cœur.

L’eau est transparente. A tel point que nous doutons qu’elle puisse nous porter. Le bateau se laisse câliner. Les drisses tintent tranquillement.  Les étoiles se réveillent, se reflètent. Voute céleste.
Et puis on ne sait plus … au dessus, en dessous.
Le divin se jette à l’eau. Un léger mouvement et le plancton se révèle. Il s’émoustille. Petits être errants, luminescents à la surface des flots.
Lucioles des mers. Galaxie sous-marine. Voie lactée.

Illusion ? Imposture ? Tour de passe-passe ? Non, la terre, la mer, le ciel, sont bien tangibles, visibles, palpables.
L’archipel a tout bonnement ouvert son écrin.

Du grand art.

Je m’abandonne en toute quiétude à n’être qu’un petit bout d’homme dans ce « grand tout » prodigieux.

Il semble que je pourrais y laisser la vie.

Laure Stichelbaut

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Dans le car


Elle voyait de la vitre les arbres défiler, et c'était sans fin, et elle se disait qu'il avait raison, le curé, Dieu devait être Tout-Puissant, puisqu'il avait tout créé et ce jusqu'à la dernière feuille. Même les gouttes de pluie qui tombaient des arbres, gouttes qu'elle aurait tant voulu boire, la tête en arrière, même elles, oui, c'était Dieu, il n'avait rien oublié, il avait pensé à tout.
Peu de temps s'était passé, sans doute peu de kilomètres, mais elle avait l'impression, dans ce car brinqueballant qui transportait toute la colo, de traverser d'innombrables frontières, de franchir d'infinis horizons et d'arriver ainsi, à la fin de la journée, de l'autre côté du monde.


En voiture


Elle fut très vite prise de quintes de toux incoercibles. Le paysage entrait dans la voiture, plongeait en elle, finissant par faire partie intégrante de son corps.
Au secours, mes yeux vont tomber par terre à force de ne plus voir que du sable. C'est donc ça, l'enfer.
De chaque pore de sa peau sortait une goutte, elle n'était plus que liquidités-sur-cuir-brûlant.
Elle ouvrait et refermait la bouche spasmodiquement.
Et, pour mieux encore la torturer, en surimpressions, des images de prés, de forêts, de verdure comme autant de mirages.
Dans cette voiture qui filait sur le sol aride devisaient tranquillement ses amis grecs, le poil sec, la peau boucanée, certes, mais tellement à l'aise...


Bernadette Behava



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