mardi 25 janvier 2011

LE CARRE DES INDIGENTS


Produire un texte à partir d'évocations et d'informations photographiques, orales et écrites sur le carré des indigents du cimetière de Thiais.


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Les cimetières c't un bon plan pour s'faire d'la thune. Les cimetières et les églises.
Les églises les jours de mariage, les cimetières, les jours d'enterrements.
Moi j'préfère les cimetières, c'est plus sûr, vu qu' les églises c'est pu c'que c'était niveau fréquentation.
Et moi, j'ai toujours aimé les cimetières.
Toute gosse déjà j'm'y prom'nais. C'est calme et c'est doux. Et pis c'est toujours fleuri, à toutes les saisons. Contrairement à c'qu'on croit, pas d'hiver au cimetière, c't un printemps permanent.
Là où c'que j'les aime le mieux c'est à la Toussaint avec toutes ces fleurs de toutes les couleurs et tout.
J'ai jamais trouvé ça triste moi, les cimetières. Ca m' repose.
J'viens ici tous les jours. J'fais la manche. C'est mon taf.
Les jours d'enterrement les gens y zon les yeux tellement plein d' larmes qui voient pas c'qui t'donnent et là... bingo! Jack pote!
Moi, après les enterrements, j'vais faire un brin d'causette avec le nouveau mort.
Passque c'est pas tout ça mais … après l'avoir accompagné jusqu'ici, descendu dans l'trou, recouvert de terre avec les fleurs et tout, chagrin ou pas chagrin, on s'en va, on rentre chez soi, on l'laisse tout seul, là.
Alors moi j'vais y causer
D'abord je m'présente : Josseline Lamalisse. Lamalisse en un seul mot avec deux ss comme la réglisse.
La maîtresse m' disait c'que tu peux êtes bête, avec un nom pareil.
J'm'en fou moi, je l'aime bien mon nom avec ses tout ses s comme des caresses.
Bref je m'présente. Dans la vie, quand on rencontre quelqu'un qu'on connaît pas et lui non pu, on s'présente. Eh ben avec les morts c'est tout pareil. Et après les présentations, j'les appelle par leur pt'it nom, celui qui y'a marqué dans la pierre à côté des dates qui sont nés et qui sont morts.
Ca les met en confiance, ça fait intimité. Les morts, surtout les morts tout neufs, faut les rassurer.
Là bas dans l'carré blanc, celui des indigents, y zon même pu d'nom. Rien qu'un numéro comme les prisonniers. Alors moi des noms j'leur en invente. J'leur donne des noms de héros, de top models qu'elles sont si belles qu'on diraient même pas quelles z' existent, de présidents de la république.
Encore qui sont pas tous bon à porter.
J'improvise...j'imagine...
Et pis je leur raconte des histoires, des blagues. J'aime bien les blagues.
Je m'dis qu'un mort qui rit il est pas tout à fait mort.
Bien sûr j'ai mes préférés. J'aime bien ceux qu'on des photos. J'peux m'faire une idée.
J'suis même tombée amoureuse d'un qui ressemble à Julio Iglésias. Il me rappelait un fiancé.
On a beaucoup causé.
Le plus dur quand on est mort c'est quand on est un mort enfant. Là c'est pas rigolo.
Ni pour les morts enfants ni pour les vivants.
Les enfants comme les indigents y z-on leur coin spécial, le carré des anges .
On le r'connaît passe qu'y a des anges en plâtres et des poèmes dessus les tombes.
Cuilà c'est çui que j'préfére
Alors Les anges, j'les soigne, j' les bichonne, j'les poupougne, j' leur raconte des histoires pour qui z'aient pas peur la d'ssous dans l'noir.
Des histoires de Petit Poucet, ou d'Belle au bois dormant ou de petite fille aux allumettes.
J'leur parle de la p'tite sirène qu'a perdu sa voix par amour.
Et pis si j'me gourre y peuvent pas m'reprendre.
Quelques fois, y m'arrive de dormir là. Toute façon j'ai nulle part où aller, ni personne qui m'attend.
Y'a des richards qu'ont des tombes aussi maousse que les villas qui z' avaient d' leur vivant.
Alors moi je squatte. Je m'faufile. Ni vi ni connu.
Le gardien du cimetière y ferme les yeux, y m'a à la bonne.
J'ai pas peur. Les morts sont pas méchants, bien moins qu'certains vivants.
Et pis l'end'main j'suis sur place pour le taf.
Et pis je m'dis que si, Elle, elle a idée comme ça de v'nir me chercher sans prév'nir, elle aura pas loin où aller, elle saura où m' trouver.
J'ai pas peur. J 'l'attends. Les morts sont pas méchants. Bien moins qu'certains vivants.




L.B.

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Au-delà

Chaque fois que cela lui est possible, elle lui rend visite.
Le cimetière est à flanc de coteau, camp retranché au milieu des champs, bordé de murs en pierres, contrée bien protégée. De tout. Exposée plein sud. Plein soleil.

Elle y arrive à pied, avec son grand-père. Petite main frêle et tendre au cœur de la confortable pogne.
Il a fallu tout d’abord passer par la boulangerie. Cling a fait la porte et hop se faire confier la clé.
Sortis du village, les voilà aux confins. Il extrait de sa poche le sésame. Gigantesque clé pour gigantesque grille.
Un tour à donner. Difficile. Le temps a œuvré. Enfin, le battant monumental couine. Il sonne leur arrivée.

Cérémonial à la fontaine pour remplir l’arrosoir, puis ils arpentent le chemin jusqu’à la tombe. Lentement. Sans doute à cause de ses petites jambes.
L’arrosoir est lourd et l’eau menace de s’échapper à tout instant.
Malgré toutes les précautions, elle jaillit en rythme et dépose ses débordements sur le chemin.
La question est toujours de savoir si il en restera assez à l’arrivée.

Les y voilà.
Arrosage, nettoyage, papotage, et pourquoi ? et comment ?
Mystères de la vie et de la mort.
Grand-âge et petit-âge rendent hommage.

Il leur arrive de faire le tour du cimetière, toujours main dans la main. Il en a connu certains. D’autres encore plus vieux, non. La guerre, la maladie, la vieillesse… tout y passe. Et c’est doux.
La balade se termine inexorablement par le carré des anges.
Enclaves rouillées. Petits berceaux attaqués par le temps. Énigme de ces photos défraîchies.

Le retour se fait plus léger parce que moins d’eau dans l’arrosoir.
Plus rien à craindre. La grille piaille à leur départ, passage par la boulangerie pour prendre le pain, rendre la clé et la parenthèse se referme.

Et puis elle rencontra la mort.
La vraie. La livide. La froide. Celle que l’on n’ose pas toucher.
Celle qui donne envie de vomir après qu’elle a arraché le dernier souffle. Celle qui nous coupe les jambes.
Adieu la promenade bucolique au cimetière.
Les pieds se traînent. Sans parler du cœur.
Et puis quoi ? La perte, le chagrin, les autres … Elle ne sait pas.
Et cette mise en bière, et en terre. L’horreur. Ne pas trop imaginer.
Se laisser couler. En finir.

Hommage rendu. Zéro. Parce que incapable. Elle est trop ravagée, inondée. Elle aurait bien aimé pourtant. Elle a même écrit quelque chose mais rien qu’à l’idée, les mots se noient dans sa gorge. Pas de bouée de sauvetage.
Elle sait qu’elle regrettera mais tant pis. Ça restera dans sa tête. De l’ordre de la pensée.
Mais finalement c’est peut-être comme ça avec l’au-delà.

Aujourd’hui encore, elle emprunte le chemin qui longe le coteau.
La grille a été remplacée. Elle lui semble moins colossale. Sans doute parce qu’elle a grandit.
Pas de clé et ni de grincement à l’arrivée.
Le royaume est ouvert à tous les vents.

Elle vient seule maintenant.
Même rituels. Remplissage, Arrosage, nettoyage.
Hommage. Eau delà. Eau de la fontaine.

Laure Stichelbaut

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Première évocation

Il aimait visiter les cimetières, regardant chaque tombe, cherchant les dates de naissance et de morts des habitants.
À dix ans, il disait à tout le monde qu'il voulait vivre jusqu'à cent.
Je le regardais, pensive, gambader dans les allées.
Comme je ne voudrais pas qu'il meure âgé !
Je ne le voyais de toute façon pas atteindre cet âge : les troubles du comportement se dessinent tôt chez les enfants.


Deuxième évocation

Haïchetou parlait toujours de ça :
-         Quand je serai à la fosse commune !
Je m'étonnais :
-         Mais Haïchetou, tu as tes filles, elles s'occuperont de toi, comment peux-tu dire cela ?
Elle haussait les épaules.
-         Penses-tu ! Je ne veux leur causer aucun souci avec ça ! J'ai déjà tout prévu. Tout est dans le dossier, là.
Je l'écoutais avec envie. Elle en parlais avec une telle légèreté ! Elle ajoutait :
-         Je peux mourir aussi bien demain ! Tu comprends pourquoi je vis chaque seconde avec une telle intensité !



Troisième évocation

Le présentateur annonçait triomphalement la bonne nouvelle : on allait vivre plus vieux, les progrès de la médecine étant tels...
Atterrée, je regimbais intérieurement.
Je regardais avec répulsion ces mémères poussives, entourées de leurs familles triomphantes


 – pourquoi celles-ci avaient-elles l'air si contentes – n'y voyant plus, sourdes comme des pots, impotentes, souriant sans dents, la peau couverte de verrues d'où sortaient de longs poils blancs...


Quatrième évocation

Il avait préparé sa mort avec son amie. L'émission nous le fit suivre tout le long du cheminement, jusqu'à la fin.
L'absorption du poison fut même filmée mais avant, on le vit en expliquer calmement la composition à son amie qui se tenait un peu en retrait, le visage impassible.
Il était couvert de métastases et n'avait pas voulu vivre sa dégénérescence qui aurait été particulièrement affreuse, lui avaient dit les médecins.


Cinquième évocation

Elle arrive à l'hôpital. Impossible de trouver où on avait mis sa mère.
Déjà qu'il n'y avait plus de place à Auxerre, sa vie, et qu'on l'avait amenée à Tonnerre, trente kilomètres de là !
Elle finit pat la dénicher au fond d'un couloir. Alertée par ses cris, une infirmière voulut la calmer :
-         On va mettre votre mère en chambre mais vous voyez bien que
pour l'instant il n'y a pas de place ! Elle est tout de même plus proche de la mort que de la vie !
Le coup partit. L'infirmière se fit mettre sur place quelques points de suture. Elle avait été frappée au visage par une main aux bagues assez agressives.


Sixième évocation

Jamais plus je ne regarderai un mort. Et France qui me disait : Regarde comme il est beau !
Le visage de mon frère laissait voir un rictus horrible. On n'avait pu maquiller la souffrance des derniers instants.
À la mort de ma mère, je me refusais à suivre le troupeau familial qui voulait la contempler dans son cercueil.


Septième évocation

Sa mort la fit sauter de joie. D'abord, puis elle se dit qu'elle arrivait trop tard.
Pendant toute son adolescence, elle avait vu trop de copines perdre un père et le pleurer. Elle ressentait un sentiment de profonde injustice.
-         Et pourquoi ça ne nous arrive pas à nous... Les bonnes nouvelles ne
sont toujours que pour les autres...
Après, il fut trop tard. Le mal était déjà fait.


Huitième évocation


Fenêtre ouverte
Sur le jardin
Vert

À l'intérieur
Elle se meurt

Sa bouche rentrée
Fait peine
À voir


Missel noir
De son visage

Dans l'éclosion
Du printemps
Dehors

Bernadette Behava

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Le  carré des indigents : réflexions sur l’après

Un jour de toussaint la mort m’a effleurée de son aile lourde et sombre.
Toute étonnée d’être encore là, ma vie a été secouée par les remous de cette inquiétante tornade.
C’est seulement après avoir repris mes esprits et retrouver un peu de contrôle sur mon existence que j’ai saisi l’importance de cette rencontre. Alors j’ai eu peur. Non pas peur de mourir mais, peur de partir sans comprendre ce qui m’arrivait et sans dire adieu à mes fils.
Sont venues également les questions sur l’après. Et toutes mes certitudes ont été bousculées.
Crémation et dispersion étaient le devenir idéal de  ma dépouille. Pas de lieu, pas de trace. Mais maintenant je me demande si ce n’est pas aux vivants de choisir. Peut-être ont-ils besoin de savoir où repose le proche disparu, d’avoir un lieu pour le souvenir.
Mais de grâce, mes aimés, épargnez moi la lourde dalle de pierre ; quelques poignées de terre  où poussent liserons et coquelicots suffiront.
Quand à mon nom, pas de stèle, qu’il reste gravé dans le cœur de tous ceux que j’ai eu le bonheur de côtoyer. J’imagine une borne comme celles qui bordaient nos routes et rythmaient nos voyages, sur laquelle on inscrirait les rencontres et les événements qui ont donné un vrai sens à ma vie.
Françoise Bourdon

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