mardi 8 février 2011

REVENIR

Quelqu'un revient après de longues années d'absence durant lesquelles il n'a donné de nouvelles à personne.
Rédiger un texte en sept parties correspondant aux sept jours de la semaine du retour.


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1er Jour

Les flics m’ont retrouvé sur le bord de la route. En vrac. C’est toujours comme ça depuis que je fugue. De temps à autre j’en ai assez de courir les routes, alors je me fais cueillir. Histoire de trouver une place au chaud.

Au commissariat ce sont ces portraits affichés au mur qui m’aident à  trouver une identité.
Enfants disparus, volatilisés, évanouis.
Leurs yeux me fixent.
Je dévisage. Je choisis.
Ma nouvelle vie est là. Grâce à eux.

Aujourd’hui, je m’appelle Thomas Lasalle. J’ai 15 ans.
Ma mère s’appelle Denise. Mon père, André.
J’ai disparu depuis  4 ans.
Me voilà. Je suis de retour.

Pendant l’interrogatoire, recroquevillé sur ma chaise, je dis l’horreur ; l’enlèvement, les sévices et finalement la fuite.
Je suis traumatisé alors j’y vais. Les pleurs. Les - ne me touchez pas ! - non j’ai pas faim -  je veux rentrer.
 « Tes parents vont venir te chercher. On les a prévenus »

Mes nouveaux parents arrivent.
Le verdict tombe.
Ils me voient, ils me reconnaissent. C’est immédiat. Evident.

Ma mère, elle est un peu gauche. Elle ne sait plus comment me prendre dans ses bras.
Elle ne pense plus. Elle est sûre. Voilà mon petit garçon.
L’image est pourtant floue. Les  larmes. Tant mieux. Sa vue est brouillée alors elle voie ce qu’elle a envie de voir. Son fils.

Moi, je feinte.

La commissaire…, je la sens pas. Elle a un drôle de regard.
Elle examine. Elle scrute. Elle furète. Mais ça fait tellement longtemps que je joue à ça qu’elle ne m’aura pas.

Je suis mineur. Ils ne peuvent pas faire grand chose. 4 années ça commence à faire. J’ai forcément changé … rien à voir avec la photo du panneau.

Ce sont eux qui tombent dans le panneau.


2ème jour

J’ai un doute. Une intuition.
Pendant l’interrogatoire ça semblait crédible. Le rapt, les ravisseurs.
Et puis c’est vrai que rapidement on pense traumatisme, on va le laisser rentrer en paix …
Il est bizarre quand même ce môme.
Oui les yeux identiques, la couleur des cheveux …
En même temps il parait grand pour 15 ans. Je ne sais pas, il y a quelque chose dans son allure, son regard. 4 ans c’est long.
Ils l’ont reconnu sans ciller.
On peut quand même se poser des questions… eux non.
Ça vaudrait le coup de fouiller. J’ai toujours écouté ma petite voix. Un test ADN sur mineur c’est compliqué. Il faut avoir l’aval des parents.
La mère, elle aussi elle est quand même étrange. De drôles de regards à son mari. On dirait qu’il lui fait peur.

3ème jour

Thomas mon petit thomas.
2 jours qu’il est là.
Après 4 ans sans rien.
C’est bon de l’avoir à la maison. On est un peu perdu…  bien oui, on  se connaît plus très bien.
Qu’est ce qu’il a grandi. Il va falloir que je lui rachète des vêtements. Je ne sais pas quelle taille il fait maintenant. On ira ensemble. Le coiffeur … il faudra que je l’emmène chez le coiffeur. Et puis les courses. Je ne sais plus trop ce qu’il mange.
Je vais faire comme avant … ça devrait aller.

Il regarde toujours la télé sur ses genoux, comme quand il était plus petit. Je lui tapote la tête au passage. J’aime bien. C’est un peu plus haut maintenant.
Depuis combien de temps il a pas regardé la télé ?

Il a retrouvé sa chambre. J’y ai pas touché. Tout est là. J’y suis venue tous les soirs. Pour lui dire bonne nuit. C’est idiot mais j’étais sûre qu’il pouvait m’entendre. Ca donnait l‘impression d’être pas trop loin de lui. Là il est grand, j’arrive pas à rentrer quand il est là. J’ose même pas toquer à la porte. Il est trop grand. On se connaît plus.
Je lui dis bonne nuit derrière la porte. C’est déjà ça.
Son lit a toujours été prêt. Je savais qu’il reviendrait.

André voulait pas. Il disait que tout était terminé. Qu’il reviendrait jamais et qu’il fallait que j’arrête d’y croire. Moi je voulais pas.

C’est vrai que c’était pas facile entre eux deux. André il est peut être violent mais au fond je sais que c’est un bon père.
André n’a rien dit. André ne dit jamais rien.
Thomas non plus ne parle pas beaucoup mais après ce qu’il a vécu … faut le laisser tranquille.
Mon petit, je vais bien m’en occuper. Lui refaire à manger. Lui faire une vie douce.
La commissaire parlait d’aller voir un psy mais c’est pas pour nous ça. On va se débrouiller en famille.

4ème jour

Mais qu’est ce que c’est que ce bordel ?
Thomas ? Mais comment c’est possible ?
Il serait ressorti de l’eau ? non.

Qu’est-ce qu’il m’avait énervé ce jour là !
Du bricolage. Papa je veux faire du bricolage … Papa …
Mais il ne s’arrêtera donc jamais !
Il était impossible ce gamin. Toujours dans mes pattes. Il comprenait rien. Raz le bol de se le coltiner.
Et sa mère qui le défendait envers et contre tout.

Je me souviens bien. Sa tête était à la hauteur de l’établi.
Il a suffit d’un seul coup. J’étais surpris. Je pensais pas.
C’était pourtant pas la première… Une rouste c’est une rouste. Même avec un marteau. Je revois la tête ensanglantée. C’était dégueulasse. Ca dégoulinait. J’ai eu du mal à regarder.
Je l’ai rempli de ciment. Par la bouche. Je savais qu’il serait plus lourd. Plus compliqué à transporter mais plus facile à couler.

Et lui là, c’est qui ?

5ème jour

J’ai appelé la mère ce matin.
Ca a l’air d’aller.
De toutes façons, je vais y passer.
A l’époque, cette histoire de disparition avait  fait du bruit.
Les enquêteurs avaient soupçonné le père. Violences familiales. Des voisins avaient déjà fait des signalements. Le petit thomas s’en prenait plein la tête.  Mais les recherches n’avaient rien donné. Pas de preuve.
Il faut que je voie .

6ème jour

La commissaire qui est passé !
De quoi elle se mêle celle là?
Ça va pas recommencer !
Et lui là … il va falloir que je m’en occupe.

7ème jour

Ils sont bizarres.
Lui est insupportable. Et elle, elle suit. Mollement. Elle fait pitié.
Le thomas ne devait pas avoir une jolie vie.
Pas de frère et sœur. Une maison moche. Des parents moches.
Elle, tout à son affaire d’avoir retrouvé son enfant et lui qui me regarde étrangement. J’ai l’impression d’être un fantôme.

Je me requinque et je me tire.

Laure Stichelbaut

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ABSENCE

Lundi 4h30

Elle s’était comme chaque matin réveillée de bonne heure. Il faisait encore nuit. Elle avait nourri le chat, bu son café brûlant, entamé le nouveau jour avec une nouvelle cigarette. Elle aimait ce moment où le village dormait encore, emmitouflé dans son silence. Ce moment où la vie ne s’était pas encore mise en route. Il lui semblait voler un peu de temps au temps. Elle était à un âge où le temps devenait une denrée précieuse.
Rien ne venait jamais troubler sa paix. Aussi fut-elle surprise en entendant crisser les graviers du chemin. Qui pouvait traverser le village à cette heure ? Elle entrouvrit doucement le rideau. Une ombre, grande, un peu voûtée, un sac à dos de toile sur les épaules, avançait. Son cœur se mit à battre. Non, cela ne se pouvait pas. Cette démarche ?… Non… c’était impossible.
Sûrement l’image d’un songe nocturne qui revenait la tourmenter. Sa main lâcha le rideau.
Un instant plus tard on frappait à la porte.


Mardi midi

Ils sont à table, face à face. Il mâche chaque bouchée lentement, consciencieusement comme on rumine des pensées. Elle le regarde en silence. Elle scrute sans un mot son visage. Ils ont à peine échangé quelques paroles depuis son arrivée.
Elle ne l’a pas reconnu tout de suite. Ce ne pouvait pas être lui. Peut-être quelqu’un qui lui ressemblait. Elle savait pourtant que ce ne pouvait être personne d’autre.
Il a dit : « C’est moi. »


Mercredi 5h

Le temps n’est pas encore aux questions. Au pourquoi, au comment, au qu’as-tu fais, au d’où viens-tu ? Peut-être, plus tard. Ou pas.


Jeudi minuit

Qui des deux le premier rompra le silence ?
Il est couché sur le dos, les mains croisées sous la nuque, les yeux grands ouverts.
Depuis qu’il est là il n’a pas fermé l’œil. Il la sent de l’autre côté de la cloison, qui veille.
Qui des deux rompra le silence ?
Elle le regarde avec ses yeux qui vous fouaillent l’intérieur.
Comment lui dire ? Comment parler dix années de silence ?
Je suis parti parce que je n’en pouvais plus. Parce que je ne me reconnaissais plus. Parce que je ne savais plus qui j’étais. Parce que l’amour était trop lourd.
Dire j’ai été un lâche, un salaud. Dire je t’ai abandonnée. Dire je t’ai regardée dormir une dernière fois, je t’ai fait entrer dans moi, j’ai fermé la porte, je suis parti.
Comment dire ?
Trop difficile.

Vendredi 11h

Il parait qu’il est rev’nu. C’est la sœur à Martine qui m’ l’a dit. Ca fait cinq jours qu’il est chez elle.
Comment que j’lui aurais claqué la porte au nez ! Elle a tellement souffert la pauvrette. Quand je la voyais venir chercher son pain avec son visage tout chiffon ça f’sait peine.
Pour qui y s’prennent les hommes. J’te prends, j’t’laisse. Me r’voilà. Attends-moi.
Faut dire qu’avec le nom qu’il porte elle aurait dû se méfier. Un homme qui s’appelle Ulysse…


Samedi 4H30

Au début elle avait attendu. Elle avait attendu poussée par cet espoir qui, dit-on, fait vivre.
Mais ce n’était pas la vie. Attendre n’est pas vivre. Vivre c’est vivre et c’est tout.
Alors elle avait chassé les questions, la douleur. Brûlé les vêtements, les lettres, les objets.
Le bûcher s’était consumé longtemps au fond du jardin.
Alors la vie avait repris ses droits.
La vie est plus forte que tout. Plus forte que la douleur, plus forte que la mort, plus forte que l’amour.
Et puis ces coups l’autre matin à la porte.


Dimanche

Ils ont des yeux au bout des doigts, des mots au bout des yeux, des caresses au bord des lèvres.
Leurs bouches, leurs mains, leurs peaux n’ont rien oublié. Leurs corps pleurent, rient, murmurent, gémissent. Ils sont comme des aveugles qui revoient la lumière, des muets qui retrouvent la parole, des assoiffés qui se désaltèrent. Mourants, ils ressuscitent.
Ils s’aiment comme on prie. En silence.

 L. B.


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Le retour


Prologue

Ça faisait un petit moment que Maria les regardait à travers la fenêtre. Tous les quatre, sous la suspension. Elle ne savait pas ce qu'ils disaient mais voyaient leurs lèvres bouger.

Lundi

Elle avait eu du mal à rentrer. La voir au milieu de sa famille – la nouvelle – lui avait retourné le cœur. Elle avait l'air si tranquille. Avant de frapper à la porte, Maria était retournée vomir près de sa voiture.
Elle avait attendu le départ de la mère pour toquer. Au mari, elle avait prétexté une crevaison. Comme il faisait nuit et qu'ils vivaient au milieu de nulle part, il l'avait invitée à dormir dans une de leurs chambres d'hôtes.
Il lui fut difficile de fermer l'œil cette nuit-là.

Mardi

-         Elle est descendue ? Tu l'as vue ce matin ? De quoi a-t-elle l'air ?
Anna interrogeait son mari.
-         écoute, je ne sais pas trop, il faisait déjà presque nuit.
-         Elle va rester longtemps ?
-         Je ne sais pas. Elle avait l'air épuisée. Je lui ai montré sa chambre...
-         Mais lui as-tu demandé ses papiers au moins ? Comment s'appelle-t-elle ?
-         Maria.
Ils en étaient restés là.

MERCREDI

-         Tout de même, elle aurait pu descendre dire bonjour, au moins. Ç'aurait été la moindre des politesses. Tu ne trouves pas, Karl ?
Il se tourna vers elle :
-         Écoute, je l'ai vue hier quand tu étais dans les vignes. Elle a mangé un morceau, mais sans desserrer les dents. Puis elle est retournée dans sa chambre. Je ne sais pas ce qu'elle a. Elle est bizarre. Je lui dirai de partir, si tu veux.
-         Eh bien, j'espère que je la verrai aujourd'hui.

Maria entendait leurs voix et son coeur battait.
Elle attendit encore le départ d'Anna et se présenta de nouveau, comme intimidée, à la cuisine.
Tous les trois levèrent les yeux vers elle.
-         Bien dormi ?
-         Oui, merci.
Le garçon devait avoir quinze ans. Il ressemblait à son père. La fille, son bonnet jusqu'aux oreilles, regardait ailleurs. Une dizaine d'années, peut-être. Elle avait sas écouteurs. Karl s'avança :
-         Prenez place Maria. Je vous présente Klaus, mon fils et sa sœur, Louisa. Voulez-vous du café ?
Elle acquiesça :
-         Votre femme est encore dans les vignes ?
Karl sourit, comme à une pensée secrète.
-         Oui, encore. Je sais.
Maria remonta dans sa chambre. Elle sortit les photos de sa valise et les étala par terre, leur jetant un regard noir.
Elle ne mit pas le nez dehors de toute la journée.

JEUDI

Elle avait voulu sortir tôt, en catimini. Il lui était difficile de l'affronter et elle n'en avait pas encore le courage.
Anna l'entendait, au bas de l'escalier.
Elles se regardèrent sans mot dire au fond des yeux.
Anna souriait :
-         Bonjour, Maria. On dirait que vous m'évitez. Je ne vous ai pas vu depuis votre arrivée.
Maria soutint son regard.
-         Bien sûr que non. Bonjour.
-         Vous comptez rester longtemps ?
-         Je dois trouver à faire réparer ma voiture.
-         Voulez-vous que je m'y essaie ? Les voitures, ça me connaît.
-         Si vous voulez. Merci. Je vais faire un tour.
Anna ne partit pas dans les vignes aussitôt. Une fois Maria sortie, elle monta jusqu'à sa chambre. Elle hésita avant d'entrer puis ouvrit, presque brutalement, la porte.
Tout de suite, son regard se porta sur les photos. Elle blêmit et dut s'asseoir, inondée de sueur.
Elle ne s'attarda pas. Aussitôt redescendue, elle ouvrit son portable :
-         Paula, c'est moi. S'il m'arrivait quelque chose, tu pourrais... tu pourrais me cacher ?
Les yeux et le portable fermés, elle réfléchit longtemps. De la sueur perlait sur sa lèvre.
Au dîner, ce soir-là, Maria regarda longuement les enfants. Klaus intrigué, lui lançait des regards aguicheurs "ma parole, il me drague ?" Quant à la petite, elle semblait n'en faire qu'à sa tête, avec son bonnet et ses écouteurs. Maria remarqua qu'elle répondait à sa mère.
Anna regardait la jeune fille, les yeux plus noirs que d'habitude. Elle répondit à peine aux questions de son mari sur la qualité du vin de cette année-là.

VENDREDI

Anna est debout, dans le chambranle de la porte. Elle se tait. Maria la voit s'avancer vers elle. Elle se contient.
-         Comment tu m'as retrouvée ?
-         Ta photo. La fête de la vigne. Je t'ai vue dans le journal.
-         Pourquoi es-tu venue ?
-         A ton avis ?
-         Tu veux me faire du mal, hein, c'est ça ?
Un félin qui crache :
-         Tu l'as ta petite vie tranquille, hein, Anna ?
-         Tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir. Tu n'as pas le droit.
-         Et moi, Maria.
Elle marche vers elle comme elle va au combat.
-         Je n'ai pas le droit ! Tu t'es demandé ce que j'étais devenue, moi, pendant que tu vivais tes belles années de vigneronne ?
Sa voix se brise. Elle se déteste pour ça. Elle a mal. Elle étouffe.
Anna ne bouge pas. Elle répète :
-         Tu n'as pas le droit de me juger. Tu ne sais pas.
Maria se précipite vers sa valise, l'ouvre à la volée, en sort les photos qu'elle lui jette au visage.
On aperçoit le corps d'un homme. On voit du sang, on devine la blessure.
-         Et ça, hein ? Tu reconnais ?
D'une voix blanche, faiblement :
-         Oui. Bien sûr que oui.
-         Il avait une femme, un enfant !
Anna se tient droite.
-         A l'époque, la famille, ça ne comptait pas. Ça détournait du combat.
Maria grince des dents :
-         Mais maintenant, tu en as, hein, une famille. Tu t'es bien rattrapée ! Et t'es-tu jamais demandé ce que j'étais devenue ?
Pas dans l'escalier.
Klaus et Louisa entrent en chahutant. Curieux, Karl se tient derrière eux, en retrait.
-         On peut entrer ?
Tout de suite, les yeux des enfants sur les photos. Ceux de l'homme, ensuite.
Tous les trois se tournent vers Maria, puis vers Anna.
Karl prend une des photos ; c'est plutôt une affiche. On y voit une très belle jeune fille aux yeux noirs, avec cette inscription : "On recherche une dangereuse terroriste."
Il regarde sa femme qui ne cille pas.
Soudain, d'un ton coléreux, à Maria :
-         Qu'est-ce que tu es venue faire ici, hein ? Détruire ma famille ? C'est ça ?
On dirait qu'il va la frapper.
Elle ne le regarde pas. Elle ne cesse de fixer Anna. D'un regard dur. Avec un pli entre ses deux grands yeux noirs.
-         Je suis aussi de la famille.
Puis, d'un ton presque léger, à Louisa :
-         Ta maman a braqué une banque.
-         Cool, répond la gamine.
-         Et tué un homme.
Le silence s'abat sur la pièce.
Tout le monde regarde Anna qui ne dit rien. Soudain, elle se précipite vers la port, sort en courant. Ils l'entendent dévaler l'escalier.
Karl se lève. Il va vers Maria, la gifle à tour de bras. Klaus la regarde, les yeux écarquillés :
-         Alors, tu es ma sœur.
Louisa ne dit rien. Elle a enlevé son bonnet et ses écouteurs.
Karl s'assied par terre. Il se prend la tête dans les bras.
-         Tu ne la connais pas. C'est quelqu'un de bien. Peu importe ce qu'elle a fait avant. J'étais mal quand je l'ai rencontré et elle...
Sa voix se casse.
C'est au tour de Maria de quitter la pièce.

SAMEDI

Tous les cinq, dans la cuisine. Avec la tête de ceux qui n'ont pas dormi. Anna au bout de la table. Ils la regardent tous. Ils attendent. Elle ne dit rien.
Maria explose :
-         tu m'as volé ma vie. Et tu es là à ne rien dire, avec ton air de sainte Nitouche. Tu devrais être au trou. Tu ne sais pas ce que c'est que de ne pas savoir qui on est, de se réveiller chaque matin, en se disant : Mais qui est ma mère ? Hein, tu peux imaginer ce que ça fait ? Et quand j'ai su ?
Les sanglots l'écorchent vive. Les mots ont du mal à passer.
-         Maria, je ne pouvais pas t'emmener dans ma cavale. Un bébé. Je savais que ma sœur s'occuperait bien de toi.
La voix d'Anna, blanche, absente à soi-même. Elle regarde par dessus les quatre têtes.
-         On avait réussi. On avait le fric. Tout s'était bien passé. Et puis... et puis... il est entré.
Il avait un chien. Le chien s'est précipité sur moi, j'ai cru qu'il allait m'attaquer, alors j'ai tiré. Je ne voulais pas. Chaque jour de ma vie, je... On ne peut pas revenir en arrière.
Cette fois, c'est Maria qui sort de la cuisine sans dire un mot.
Tous les quatre se sont rapprochés. Ils se tiennent enlacés. On dirait qu'ils ont froid. On entend la petite qui sanglote : - Maman, maman !

DIMANCHE

Maria et Anna.
Elles roulent sur la route. Elles ne se parlent pas. Soudain, Anna hoquète. Maria ouvre la porte. Anna vomit dans l'herbe puis remonte dans la voiture.
Maria conduit, les dents serrées. Soudain, dans une sorte de détente :
-         Je te conduis n'importe où, si tu veux.
Elle arrête la voiture.
Anna lui pose une main sur le bras. Elle sourit.
-         Non, ma fille. Fais ce que tu dois faire. Ce pour quoi tu es venue.
Maria ne peut plus conduire. Elle étreint sa mère de toutes ses forces.
Puis elle se remet au volant et remet la voiture en route.

Bernadette Behava

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