jeudi 26 mai 2011

INCIPIT

Hélène sourit à l'homme satisfait qui l'ennuyait depuis le début de la soirée, passa distraitement un doigt sur le rebord de son verre, l'espace d'un instant hésita entre se lever pour aller aux toilettes ou demander au journaliste assis à sa droite ce qu'il pensait des journaux en ligne...

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Ombres


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Elle décida de fuir ce lieu. Ne plus être là, avec ces gogos désœuvrés dont elle n'avait que faire.
Elle n'alla pas aux toilettes, ne demanda rien au journaliste. Elle sortit, laissant son verre inachevé.
Dehors, elle respira.
Elle ne pouvait plus supporter les autres. Elle suffoquait en leur présence, sous le coup d'une intolérance à fleur de peau, une sorte de répulsion incontrôlable.
Tous ces hommes croisés, allumés, jetés... toutes ces liaisons, les vraies, les fausses, toutes ces attentes, ces désillusions, ces départs...
Elle avait pris l'habitude de finir ses nuits dans des soirées comme celle-là, d'où elle sortait vaseuse, mécontente d'elle.
Ses talons claquant sur le macadam, elle regarda la lune coincée entre les immeubles.
Où allait-elle aller cette nuit ?
Elle s'assit sur un banc.
Ses souvenirs se détachaient d'elle comme des bulles crevant l'une après l'autre.
Elle sortit une cigarette de son sac, l'alluma avec son briquet.
Quelqu'un se posa à côté d'elle, sur le banc. Elle ne vit qu'une forme vague et souffrit d'être dérangée dans sa solitude.
-         Pourquoi es-tu partie si vite cet après-midi ?
Elle rejeta une bouffée de sa cigarette, droit devant elle.
-         Parce qu'on se connaît ?
Elle n'avait pas peur de l'homme : il n'existait pas, tout simplement. Elle était au-delà de tout.
-         Salope !
Elle accueillit l'insulte avec indifférence.
Le coup porté au thorax lui sembla résonner très fort et ce qui s'ensuivit fut si rapide et violent qu'elle perdit connaissance. Elle tomba.
L'homme la bourra alors de coups de pied, imprimant la marque de ses semelles sur son visage. Il s'acharna sur ce qui n'était plus une femme depuis longtemps.
Puis comme lassé, il partit en remontant le col de sa veste.

Bernadette Behava

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...
Quelle barbe ces soirées. Elle le savait.
Ils affichaient tous un air suffisant, hautain, parés de leurs beaux costumes et leurs belles robes, affichant un contact aisé et une conversation facile.
Elle se sentait à côté de la plaque et elle était sûre que tout le monde le voyait. Elle exécrait ces moments.

Hélène se décida finalement pour les toilettes. Elle s’excusa poliment et se leva. Un sourire figé sur le visage, elle circula entre les tables pour atteindre ce qu’elle envisageait pour l’heure être une pause nécessaire. Elle entra, repoussa la porte et s’y adossa. Le son se trouva reclus de l’autre côté et Hélène ferma les yeux, une façon d’échapper à la triste réalité et de se demander ce qu’il pourrait advenir lorsqu’elle les rouvrira. Elle s’accorda ainsi une petite suspension visuelle et sonore.
C’était un comble que d’aller se réfugier dans les toilettes mais elle en était coutumière. Elle avait commencé lorsqu’elle était encore une petite fille. Ses parents lui avaient payé des cours de piano dans une vieille école, dispensés par une vieille femme. Lorsque celle-ci, hypnotisée par les gammes,  commençait à chanceler, Hélène s’échappait silencieusement de la salle de musique, parcourait le long couloir et s’engouffrait dans les toilettes.
C’était devenu son havre de paix.

Elle figea son regard dans celui de son reflet dans le miroir.
Elle avait encore tué. Cet après-midi.
Elle tue pour lui. Ne pose pas de question. Fait ce qu’il lui demande de faire. En retour, il l’aime. A sa façon.
Même si un léger doute se nichait continuellement au plus profond d’elle-même, Hélène se refusait à l’entendre. Elle ne voulait pas se demander  où tout cela pouvait la mener.


C’était à chaque fois pareil. Tout à l’heure encore.

La pulpe de ses doigts découvre la rugosité, la tendresse. Sa main effleure tranquillement leurs visages, dessine les contours. Un instant, elle hésite, stoppe, reprend son voyage.
Elle descend. La nuque. Hélène aime la nuque. Cette zone qui ouvre la voix aux épaules. C’est sans doute là qu‘elle aurait aimer depuis toujours poser sa tête, s’abandonner dans ce vallon confortable qui peut tout supporter parce qu’il est fait d’os et de muscles. Rivière au flux cadencé. L’artère est à fleur de peau. Le cœur palpite sous ses doigts. Hélène savoure les prémices.

Manucure impeccable, ongles colorés. Elle a posé sous la couche de vernis, un alliage spécifique.
Ses mains sont une arme parfaite. D’un geste sûr, elle taille, perfore, sectionne. Le flot chaud bouillonne à la sortie, s’échappe par petites vagues, se calme enfin et finalement coule sereinement.
La vie s’endort. Hélène s’apaise.

Hélène vérifia l’heure à son poignet. Il était temps. Il devait maintenant être arrivé et elle ne voulait pas le faire attendre.
Tandis qu’elle se lavait les mains, elle se prit au jeu des questions futiles qu’elle se posait toujours à cette occasion. Le distributeur de savon serait-il plein ou vide ? le robinet…à main ou électronique ? sèche-main, serviette, papier, tissus ? … Hélène aimait ces réponses insignifiantes.
Elle fit un raccord de rouge à lèvre, vérifia une dernière fois son image dans le miroir, prit une grande inspiration comme pour émerger. Hélène ouvrit la porte et elle fut instantanément envahie par un niveau sonore difficilement supportable.

Laure Stichelbaut

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