mardi 15 mars 2011

ELLIS ISLAND







Ellis Island, l'ïle aux larmes... des mois pour y arriver et peut-être se trouver refoulé. Ellis Island, symbole de l'exil, des grandes migrations, d'espoir et de désolation.
Données chiffrées, photographies, questionnaire du registre d'entrée... Des indices, des traces, des visages, des histoires, 16 millions d'immigrants.

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L'exilé

-         Pourquoi cet exil ?
-         L'espoir !
-         N'as-tu pas craint d'en mourir ?
-         Il fallait à tout prix tenir.
-         Et les tiens ? Ceux que tu laisses ?
-         Il valait mieux les oublier.
-         Ta famille, tes mais, tes aimés ?
-         Ne jamais se retourner.
-         Qu'est-ce qui t'a aidé à tenir ?
-         Une certaine idée de l'avenir.
-         Ta plus grande chance ?
-         Une santé à toute épreuve.
-         Ton pire souvenir ?
-         Des morts, des morts... à tous les étages.
-         Des rencontres ?
-         Les fantômes, qui, toutes les nuits, s'assoient sur mon ventre.
-         La vie était-elle si dure, là d'où tu venais ?
-         Comme au miroir de tes cauchemars.
-         Qu'as-tu trouvé là-bas, dis, mystérieux exilé ?
-         La solidarité.
-         Mais encore ?
-         Une certaine griserie d'avoir tenté de recréer... quelque chose... ailleurs... autre part...


L'étranger

Je suis l'homme sans origine
Mon visage livide semble
Flou

Ne me demandez pas
Ma nationalité

Ils sont venus danser
Sur le cercueil
De notre histoire

Ma nationalité
Le cœur de tous les hommes

L'encre de mon stylo
A la couleur

Du sang


Bernadette Behava

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DOUTES


Le môle est enfin au bout de l’étrave.
Mon clipper s’est bien comporté. Il a tenu la mer.
Il est resté ardent, n’a pas fatigué. Il a obéit.

Et pourtant le vent a adonné. Il a refusé. Molli. Fraîchi.
Rafales, grains, déferlantes, et puis le pot au noir. Plus rien que de la pluie.

Ce vendredi 12 mars 1874, voiles affalées, ferlées. Bateau amarré.
Accosté, il s’est enfin calmé.
Il se laisse maintenant bercé par le clapot du port avec ce petit son particulier qui tinte contre sa coque.

Le loch affiche zéro.
Nous sommes à quai.
Les passerelles sont à poste.
Le bateau va maintenant pouvoir se délester de sa marée humaine.

Ils sont des milliers. Les visages tournés dans la même direction.
Je ne sais pas vraiment laquelle mais ils y vont.
Enfin si, j’imagine vers un espoir. Plein ouest. Faut voir …

Ils sont des milliers, en bon ordre. C’est leur bourse qui a décidé de leur rang. Les plus riches près du ciel. Quant aux plus pauvres, à fond de cale. Ils sortiront les derniers.

Ils sont des milliers. Encore. Il a fallu pourtant en laisser certains en chemin. Nous les avons offert à la mer. Pas le choix.
Pavillon en berne. Hissé à mi-course.
Ceux qui ont résisté font confiance au temps. Ils attendent leur heure.

Moi, William M. , capitaine de ce bâtiment, je doute.
J’ai fuis devant le temps, J’ai réduis la voilure, diminué la vitesse, arrondi la route. J’ai fais en sorte d’éviter les effets de la mer.
Je les ai transportés.
Je les ai gardés en vie.

Et alors ?

Ils arrivent tout disloqués après un mois de mer. Ils ont eu faim, froid, peur. Ils ont été malades de tangages et de roulis.

Et ils débarquent fort de leurs identités, de leurs accoutrements, de leurs hymnes. C’est tout ce qui leur reste.
Est-ce qu’ils se figurent les examens physiques, psychologiques, les séparations ?
Est ce qu’ils imaginent les critères d’admission, les contrôles, les questions et encore les questions.
Tout ça dans une langue qui leur est étrangère.
Au milieu d’autres voix incompréhensibles.

Je doute.
Tous ces miles nautiques. Toutes ces traces laissées à la surface de l’eau. Ames flottantes en quête de rivage.
Pour atterrir où?

Accueillis par la Liberté Eclairant le Monde, ils posent le pied sur la terre ferme tout plein de cet espoir qui leur a fait traverser un océan,
Ils ignorent qu’ils risquent de chanceler un bon bout de temps. C’est le mal de terre. Quant il vous tient, rien à faire. Il n’y a plus qu’à retourner sur l’eau.

Ils écarquillent leurs grands yeux. Ellis Island.
Elle brille comme à un palais planté au milieu d’un lac.
Mais dans la profondeur de ces entrailles, qu’est ce qu’il se trame?

Ellis Island.
Navire d’un nouveau genre. Entre deux eaux.
Un beau jour peut-être, je verrais une grand-voile se hisser et puis un artimon. Les amarres seront larguées et le palais prendra la mer.
On peut toujours rêver.

Laure Stichelbaut

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