mercredi 9 mars 2011

FAIT DIVERS

20 mai 2010, Tennessee, Etats-Unis


Incroyable : il se jette de sa voiture sur l'autoroute pour ne plus entendre parler sa femme.
Ce matin, un homme de 33 ans circulait en voiture sur l'autoroute avec sa femme et leurs trois enfants. Les deux adultes ont commencé à se disputer, puis l'homme a demandé à la femme de se taire. La femme ne s'est pas exécuté, alors l'homme a préféré sauter de la voiture en marche.
Il a été transféré à l'hôpital dans un état grave mais stationnaire.

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Ecoute bien...

Ils lui avaient tous dit la même chose, médecins, infirmières, tous, : parlez lui. Parlez lui, c'est la meilleure façon de le stimuler. Nous ne pouvons garantir à 100% qu'il vous entende mais parlez-lui. Le coma est une chose mystérieuse. Il n'y a rien à faire qu'attendre. Ne perdez pas espoir. Parlez lui.

S'ils avaient su...

Elle entend encore ses hurlements dans la voiture « Je peux plus entendre ta voix, ta putain de voix. Je peux plus la supporter. Si tu dis encore un seul mot, je me jette par la portière. »
Et elle avait crié « Mais vas-y, vas-y»
Quel con.
Elle, elle s'en était tiré avec des contusions et un bras cassé, un vrai miracle.

Elle entre dans la chambre de l'hôpital. Georges, son mari est couché, les yeux clos. Il est relié par des tubes et des fils à des machines et des écrans où des lignes frétillent, zigzaguent, oscillent.
On se croirait dans Urgences, voilà ce qu'elle pense. Urgences, sa série télévisée préférée avec Georges Clooney.

Quand elle a rencontré Georges, son mari, c'est à cause de son prénom qu'elle en est tombée amoureuse. De son prénom et de sa voix. Il avait le prénom et la voix de l'autre, le Vrai.
C'est pour ça qu'elle l'a aimé, Georges.
Georges c'était un clown. Au début il la faisait rire. Et puis ça c'est gâté. Il l'a fait pleurer.

«Je peux plus entendre ta voix, ta putain de voix. Je peux plus la supporter. Si tu dis encore un seul mot, je me jette par la portière.»
« Parlez lui, c'est la meilleure façon de le stimuler.»

Elle prend la chaise, s'assoit calmement, se penche tout contre l'oreille de son mari.
« Georges, c'est moi, Viviane...
Ces quatre mots provoquent instantanément des variations et des oscillations intempestives sur les écrans de contrôle.
« Georges, tu es un salaud. Le roi des salauds. Tu as failli me tuer Georges. Mais tu vois, je m'en suis sortie. Je vais bien, très bien. Tandis que toi Georges, mon pauvre Georges, tu va mourir.

Des trépidations sismiques agitent l'écran
Oui, tu vas mourir. Parce que je vais te parler. Te parler avec ma putain de voix. Je n'y peux rien Georges. Ordonnance du médecin.
Alors écoute bien....

Quelques heures plus tard, sur le dossier de transmission, l'infirmière inscrivait
Ischémie cardiaque majeure avec fibrillation ventriculaire. La déclaration de décès a été faite par le médecin du service ce jour à 11h. Le corps descendu au funérarium.
La famille a été prévenue.

L.B.

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Quelques nouveautés s’imposaient pour supporter le quotidien. Il s’est inscrit à un club de tir ; le bruit sec des armes est un antidote formidable contre l’incessant bavardage de sa femme. Quelle volupté de chausser le casque anti-bruit sur les oreilles et ne plus laisser de place aux cancanages, aux reproches, aux questions, aux récriminations. Bien sûr il avait pris l’habitude de rentrer de plus en plus tard du boulot mais ça ne permettait pas de tarir le verbiage de son épouse. Au contraire, ce qu’elle retenait jusqu’à son retour lui était déversé dans les oreilles dès son arrivée et ne s’éteignait qu’avec le sommeil. Il avait beau se réfugier auprès de ses enfants, la voix enflait et le poursuivait. Comment la faire taire. Cette logorrhée le privait de sa propre voix ; il ne savait plus rien dire de lui.
Il appréhendait par-dessus tout les lieux fermés d’où il ne pouvait s’échapper. Le pire était sans doute les longs trajets en voiture pour rejoindre le calme tant imaginé de leur maison de campagne. Le plus souvent possible il inventait de grossiers stratagèmes pour différer son départ, rejoindre sa famille le lendemain et profiter de quelques  heurs de répit.
Ce jour là, pas moyen d’échapper au huis clos, le bras en écharpe, elle ne pouvait conduire. La tension est vite montée dans l’habitacle. Sa femme, empêchée de conduire, se défoulait en le harcelant de reproches et de conseils à propos de sa façon de conduire mais ne semblait même pas entendre les enfants qui se querellaient à l’arrière. Encore 200 kilomètres à faire. Pas possible. Il manœuvre fébrilement les touches de l’auto-radio, espérant sans doute couper la voix acide qui lui donne la nausée. Il passe la tête par la fenêtre mais n’arrive pas à échapper au flot sonore. Dans un geste de folie désespérée il ouvre la portière et quitte enfin la voix qui le harcèle.
Il se réveille dans un cocon tout blanc traversé de lueurs bleues, il flotte hors de ses contours. Il est agréablement surpris par ce silence ouatée qui persiste malgré les gesticulations de sa femme. Il comprend peu à peu qu’il se remettra sans séquelles de ses diverses fractures mais que le traumatisme crânien dont il a été victime l’a privé irrémédiablement de son audition.
Françoise Bourdon

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