jeudi 31 mars 2011

SAMEDI 21 H, CHRISTIANE SE DECOMMANDE

A partir d'un enregistrement de l'émission Micro Fictions sur France Culture, épisode 4/5 de Grand Ménage de Nathalie Kuperman, écrire un texte de forme libre en partant de l'hypothèse suivante : samedi 21 h, Christiane se décommande....

http://www.franceculture.com/emission-fictions-micro-fiction-grand-menage-de-nathalie-kuperman-45-2011-02-24.html

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Samedi 21h10, Marianne raccroche le téléphone
« Ah ! La salope, me laisser tomber comme ça à la dernière minute. « Trop de boulot » j’y crois pas, la musique guimauve en fond sonore évoquait plutôt le « plan cul ». Elle ne s’est même pas souciée du repas que je lui avais préparé ; elle ne se doutait quand même pas du plan William Saurin. Balayée de son agenda par un coup de fil à la sauvette. Mise au rancart. Flûte c’était moi qui devais orchestrer la mise à la poubelle. Il s’agit de mon grand ménage à moi quand même. Je ne veux pas du rôle de la vieille feuille chiffonnée qu’on lance dans la corbeille d’un geste nonchalant. »
Marianne tourne en rond dans son appartement reluisant de propreté, elle ouvre les placards sur des piles bien ordonnées, trouve encore quelques bricoles superflues. L’effervescence la gagne, elle plonge dans sa penderie ; au diable les fringues d’employée modèle, les petits tailleurs sages, les robes raisonnablement coquines. « Tiens celle-ci était la préférée de Jacques. Je l’avais oublié lui et sa bague déjà disparue de ma vie. »

Samedi 23h Marianne décroche le téléphone
-       Allo Jacques, c’est Marianne. Je ne te dérange pas (c’est bizarre cette musique, c’est pas son genre)
-       Non, pas du tout, je suis content que tu me rappelles.
-       Je sors du théâtre, je me disais qu’on pourrait se faire une dinette chez moi, qu’en penses-tu ?
-       Malheureusement je suis comme toi débordé de boulot, j’ai ramené une pile de dossiers avec moi pour un week end studieux. C’est dommage mais on peut prendre date pour la semaine prochaine.
-       Même pas une petite heure histoire de décompresser ?! (ce fond sonore me turlupine….)
-       Ça m’aurait vraiment fait plaisir mais pas possible ce soir.
-       Dommage, enfin ça va me permettre de me coucher tôt, je suis crevée en ce moment avec ce boulot qui déborde, j’ai besoin de récupérer. Je t’embrasse, à bientôt.
-       Moi aussi je t’embrasse. Sans rancune ?
J’y suis, la musique c’était la même que chez Christiane. Ils ne passent quand même pas la soirée ensemble. J’hallucine ! Il la trouvait élégante mais suffisante et elle a toujours essayé de me persuader que je méritais mieux que ce gratte papier. La salope, elle avait des vues sur lui.

Samedi 23h30
Marianne se secoue, reprend l’inspection de son domaine, se débarrasse de quelques bibelots, souvenirs de quelques voyages avec le comité d’entreprise, déplace les plantes vertes, puis les petits meubles, en pousse quelques uns sur le palier. Savoure le vide qui gagne. Finalement se débarrasse de toutes les strates de son ancienne vie, celle de l’esclavage professionnel et des amitiés faux-cul.

Dimanche 16h
Christiane, inquiète de ne pas réussir à joindre Marianne, se rend chez elle, un peu mal à l’aise de l’avoir laissée tomber, et de lui avoir piqué son mec.
Arrivée en bas de son immeuble, elle se fraye un passage parmi les badauds qui fouillent dans le monceau d’objets et de meubles qui jonche le trottoir. « C’est bizarre cette brocante sauvage ! » L’escalier également est parsemé de sacs poubelles éventrés. La porte de l’appartement est entrouverte, il est quasiment vide. Elle découvre Marianne prostrée sur la moquette avec devant elle deux assiettes dans lesquelles elle identifie à grand peine du cassoulet figé dans la graisse. « il me semblait qu’elle avait horreur de ce genre de cuisine. »

Françoise Bourdon

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Conversation téléphonique

-         Allô ! Marianne !
-         Christiane ! Enfin ! J'espère que...
-         Si !
-         Non ! Tu ne viens pas ?
-         Non.
-         Écoute, cela fait...
-         Excuse-moi, un empêchement de dernière minute.
-         Mais... tu me prends au dépourvu, je t'attendais, je t'avais préparé quelque chose de bon !
-         Ce sera pour la prochaine fois.
-         Non, écoute, tu ne peux pas savoir à quel point je suis désolée. Je me réjouissais de t'avoir à dîner, cela fait trois heures que je fais mijoter quelque chose...
-         Désolée. C'était quoi, comme plat ?
-         Écoute, puisque tu ne viens pas, j'ai pas envie de te le dire.
-         Tu es fâchée.
-         Non.
-         Si, je sens bien que tu es fâchée !
-         Non ! Je ne suis pas fâchée !
-         D'accord, d'accord, tu n'es pas fâchée. Alors tu as fait ce que je t'ai dit ?
-         Quoi ?
-         Ben, tu sais, les recherches pour ton boulot. Je t'ai montré comment t'y prendre !
-         Ah.
-         Oui. Écoute Marianne, je sens que tu es fâchée. Je vais te laisser.
-         Non !
-         Mais je dois...
-         Je ne suis pas fâchée. Au contraire !
-         Au contraire ?
-         Euh... Je ne sais plus ce que je dis. Tu m'excuses.
-         Tu es tout excusée. Encore dans tes problèmes, je vois.
-         Non.
-         Non quoi ?
-         Je ne suis plus dans mes problèmes.
-         Ah ! Tu as retrouvé du travail ?
-         Non.
-         Mais tu disais que...
-         Je te disais que je n'étais plus dans mes problèmes. Le travail ce n'est plus mon problème.
-         Comment ça ? mais comment tu vas vivre sans travail ? Marianne, tu dis n'importe quoi !
-         Non, j'ai simplement autre chose dans ma vie.
-         Quoi ?
-         Autre chose. Quelqu'un en fait.
-         T'as un mec ?
-         Oui.
-         Mais t'as pas de boulot ?
-         Non.
-         Alors, c'est pas lui qui va te nourrir, si ?
-         Si.
-         Il va te nourrir ?
-         Oui.
-         Marianne, ne me dis pas que tu vas te faire...
-         Entretenir. Oui, Christiane. Tu as bien compris.
-         Je rêve. Toi, une femme libre, moderne, revenir à des pratiques...
-         Du Moyen Age. Ben oui, tu vois, tout arrive.
-         J'hallucine. J'arrive pas à le croire. Et pour tout te dire, ça me choque.
-         Qu'est-ce qui te choque ?
-         Que tu te mettes à la colle avec un mec juste pour l'argent.
-         Qui te dis qu'il n'y a que l'argent entre nous ? Tu penses que je ne peux plus plaire, encore ?
-         Je n'ai pas dit ça. Mais une femme, ça doit être libre, ça doit...
-         Non.
-         Non, quoi ?
-         Ça doit pas.
-         Marianne, je ne comprends pas.
-         C'est simple une femme, ça doit être amoureuse.
-         T'appelles ça l'amour ?
-         Et les femmes mariées, celles au foyer, elles sont pas entretenues ?
-         C'est pas pareil. Elles sont mariées.
-         En fait, ce qui te choque, ce n'est pas que je sois avec un mec qui m'entretienne, c'est que je ne sois pas mariée. Et si je te disais qu'il m'aime ?
-         Permets-moi d'en douter.
-         Comment ça ?
-         Ben oui, on s'est vues il y a peu de temps, il n'y avait personne dans ta vie.
-         Mais Christiane, qu'est-ce que tu en sais ? J'ai renoué avec...
-         Ah. Ton ex ?
-         Oui.
-         Mais tu m'en avais dit pis que pendre !
-         Tu vois, tout arrive.
-         Quoi ?
-         On s'est réconciliés.
-         Et... il a de l'argent et ...
-         Et il m'aime. La totale, quoi.
-         Il t'aime, il t'aime...
-         Mais Christiane, qu'est-ce que tu en sais ? Tu devrais être contente pour moi ! Tu crois que c'en aurait été une de vie, pour moi, de faire n'importe quoi !
-         Ben...
-         Ben quoi ? Ce n'est pas une vie de faire n'importe quel boulot ! On est plus dans les Trente Glorieuses. La femme libre, elle est maintenant métro-boulot-dodo. C'est ça que tu voulais pour moi, hein ?
-         Non, mais...
-         Il n'y pas de mais. Tu voulais mon malheur, avoue, Christiane !
-         Marianne !
-         Avoue que tu es furieuse que Jacques soit revenu, que je sois de nouveau heureuse, que je sois amoureuse...
-         Marianne, je ne te permets pas !
-         Avoue que tu es jalouse, que tu étais contente de me savoir seule à galérer !
-         Marianne !
-         Tes conseils. Tu sais ce que j'en faisais de tes conseils "y'a qu'à... faut que...tu dois..."
-         Mais je...
-         Je faisais mes placards.
-         Tu faisais... tes placards ?
-         Oui. Du rangement.
-         Du rangement ?
-         Oui. Je repassais aussi, je briquais, je faisais la cuisine, je l'étais devenue femme au foyer.
-         Et ta recherche ?
-         Quelle recherche ?
-         De travail.
-         Et bien, rien.
-         Rien ?
-         Rien. Je cherchais pas.
-         Quoi ?
-         Christiane, tu me gonfles. Sache-le. Je ne t'ai jamais écoutée. Tes conseils, je me disais, elle peut se les mettre où je pense.
-         Marianne !
-         Oui, Christiane ?
-         Ah, c'est comme ça que tu me voyais, que tu me remerciais !
-         Te remercier de quoi, ma cocotte ? de ton harcèlement ? de tes conseils à la mords-moi l'nœud, de...
Cling !
-         Elle a raccroché. Eh, bien, ç'aura été plus efficace que l'cassoulet !

Bernadette Behava

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